Histoire du groupe "Harmonium", partie 1/5 !
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Histoire du groupe "Harmonium", partie 1/5 !
HARMONIUM,
"-Dis-moi, c'est quoi ta toune ?",
Histoire en trois actes du plus québécois des groupes de rock progressif
"-Dis-moi, c'est quoi ta toune ?",
Histoire en trois actes du plus québécois des groupes de rock progressif
Harmonium fut sans doute, à bien des égards, l’une des formations les plus atypiques de l’histoire du rock progressif, portée en partie par un phénomène de société dont l’impact, souvent méconnu de ce côté-ci de l’Atlantique, dépasse assez largement le simple cadre musical. Grâce à sa démarche originale et à son farouche attachement à des valeurs communautaires, Harmonium fut en effet presque considéré, par toute une génération en quête d’identité, comme une alternative culturelle crédible face aux modèles anglo-saxons dominants, dans un Québec en proie à cette révolution dite tranquille qui allait amener le parti séparatiste de René Lévesque au pouvoir, à la fin des années 70. En rupture avec une tradition anglophone souvent plus soucieuse d’apparat que d’authenticité, il fut aussi l’un des rares groupes à avoir su traduire en musique, dans leur expression la plus touchante et la plus spontanée, une sensibilité et une émotion véritablement dénuées d’artifices, au point d’en faire l’un des traits les plus essentiels de son art. Cette générosité inépuisable dans l’expression des sentiments, cette sorte de tendresse inquiète oscillant sans cesse entre doute et sérénité, omniprésente dans l’œuvre du groupe, s’accompagne en outre d’une économie de moyens et d’une simplicité formelle qui confèrent à ses compositions une formidable limpidité. L’éclat à peine perceptible de la pureté, en quelque sorte.
Mais cette fête passionnelle de tous les instants, qui ne fera que croître en intensité au fil des albums, est aussi l’expression d’une sensibilité à fleur de peau, que l’on doit à la personnalité tourmentée, parfois contradictoire et souvent même dépressive, de son leader historique, Serge Fiori. "L’art", expliquait-il lors d’un entretien en 1996, "est plus fort que soi, un état, une recherche de vérité. C’est la transmission pure des états altérés de la conscience. J’ai touché il y a longtemps quelque chose qui existe. Il n’est pas un seul projet qui ne parte d’un besoin profond". Ouf ! Pour ceux qui n’auraient pas tout suivi, cette déclaration fervente a au moins le mérite d’être révélatrice quant à la sincérité et à la profondeur très personnelle du travail créatif élaboré sous la bannière du groupe. Inutile, donc, de chercher à être plus explicite, car la démarche d’Harmonium, irréductible à la seule expression du besoin identitaire d’une certaine jeunesse québécoise, est en fait entièrement tournée vers un objectif simple : caresser le "beau", et en traduire l’extase, avec souvent autant de candeur que d’éloquence.
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Le parcours précoce de Serge Fiori est sans doute à l’origine de cette rondeur simple et chaleureuse qui baigne littéralement sa musique. Né le 4 mars 1952, cet écorché-vif est issu de la communauté italienne de Montréal, dans le quartier dit de la "Petite Italie". A l’âge de quatre ans, il chante déjà pour le groupe de jazz de son père, Georges Fiori, un orchestre ballroom populaire se produisant à l’occasion de soirées privées et de diverses festivités (cette formation existe d’ailleurs encore aujourd’hui). Totalement autodidacte, il apprend sur le tas presque tous les instruments qui passent à sa portée. A douze ans, il maîtrise déjà les bases de la guitare, assimilées presque uniquement par l’oreille. Et dès quinze ans, il se produit dans les clubs et les bars de la région, toujours avec l’orchestre de son père, commençant plus ou moins à gagner sa vie par la musique.
C’est en 1972, alors que Serge Fiori est lancé dans des études de communication, que l’histoire d’Harmonium commence timidement à se dessiner, grâce à la rencontre inopinée de Michel Normandeau. Ce dernier, passionné de théâtre, au point de quitter son emploi de journaliste au "Journal de l’Université de Montréal", projette de monter sur scène une pièce écrite par un ami d’enfance, Claude Meunier, future étoile de la scène comique québécoise des années 70 et 80. Fiori se trouve donc contacté afin de réaliser la trame sonore de ce spectacle, qui ne verra finalement jamais le jour - un mal pour un bien au regard des formidables perspectives qui allaient bientôt s’ouvrir pour nos deux protagonistes. Brusquement désœuvré, Michel Normandeau invite donc Serge à s’installer dans son appartement d’Outremont (un quartier résidentiel proche du campus de l’Université de Montréal), la place de colocataire étant devenue vacante suite au départ de son ami Claude Meunier. L’entente est immédiate, d’autant que Michel s’adonne également à la musique de son côté, pratiquant la guitare, mais aussi l’accordéon et le dulcimer, sorte de cithare médiévale à cordes métalliques. Quelques chansons sont mises en chantier, agrémentées de textes… en anglais ! Un choix des plus surprenant lorsque l’on connaît l’amour de Serge pour sa langue natale, et les prises de position résolument nationalistes qu’il allait défendre par la suite ("Le français est le langage le plus riche et le plus beau pour traduire l'émotion", déclare-t-il cinq ans plus tard. "Je ne serai jamais capable de chanter en anglais").
Après l’enregistrement d’une bande démo, le duo prend contact avec Yves Ladouceur, qui travaille à l’époque comme programmateur pour la station de radio CKVL (devenue par la suite CKOI FM, l’une des toutes premières radios FM du Québec). Il va devenir le premier manager du groupe, et l’un des plus grands artisans de son succès, notamment en leur conseillant d’opter pour des paroles en français, un choix particulièrement pertinent compte tenu du faible nombre de chanteurs francophones officiant dans ce style musical, et de l’émergence d’un jeune public à la recherche de racines, en majorité estudiantin. Mais il faut attendre le début de l’année 1973 pour que la formation trouve son équilibre définitif, avec le renfort de Louis Valois, alors étudiant en optique, à la basse. Le groupe prend pour la première fois le nom d’Harmonium, et met l’été qui suit à profit pour composer ses premiers titres et se produire dans des "boîtes à chansons" (telles Chez Dieu, l'Évêché, l'Iroquois ou le Patriote de Montréal), très répandues au Québec à cette période.
Le succès est inespéré. Harmonium se constitue un public fidèle et devient très rapidement le groupe favori de l’underground montréalais. Le 25 juin 1973, Yves Ladouceur parvient à les faire participer à un gigantesque spectacle organisé dans le vieux Montréal à l’occasion de la fête nationale du Québec, le jour de la Saint-Jean, devant 300 000 personnes, et diffusé en direct sur CKVL-FM. En novembre de la même année, Ladouceur les fait passer également sur les ondes de CHOM-FM (une radio encore en activité, et orientée "classic rock"), à l’émission Son Québec, le temps d’interpréter quelques chansons ("Pour un Instant", "Un Musicien Parmi Tant d’Autres", et "Un Refrain Parmi Tant d’Autres", titre qui ne figurera jamais sur disque). Fiori se souvient de cette époque : "Il y avait toujours une foule qui nous suivait déjà… Nous, on n'y pensait pas, mais ça commençait vraiment à créer comme un remous par en-dessous, sans qu'on le sache".
Ce phénomène naissant n’empêche pas les maisons de disques d’être méfiantes. La plupart trouvent les chansons trop longues ou trop bizarres, et demandent au groupe de "s’adapter", en simplifiant les textes et en raccourcissant à l’extrême la durée des titres. A tour de rôle, Capitol, les disques Barclay, Polydor, London Records, CBS et Warner refusent de produire leur premier disque. C’est finalement une compagnie ontarienne, la maison de disques Quality, à la recherche de jeunes artistes pour sa nouvelle filiale québécoise Célébration, qui accepte de signer Harmonium en lui laissant une totale liberté artistique. Le groupe entre donc en studio début 1974 et enregistre son premier album (en quatre jours seulement, à la demande de leur producteur !), sobrement intitulé Harmonium, qui sort en avril de la même année.
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Constituée de neuf chansons de conception relativement traditionnelle, si ce n’est une durée légèrement plus conséquente que la moyenne de l’époque et la présence encore éparse de quelques broderies instrumentales feutrées, cette œuvre de jeunesse peut sembler bien éloignée des canons progressifs les plus familiers, et surtout à mille lieues de l’exubérance virtuose dont faisaient preuve au même moment les ténors de la scène. Si le terme "unplugged" avait eu cours à cette date, il aurait pris ici tout son sens, devant l’absence quasi maniaque de toute amplification électrique ou de quelque sonorité synthétique que ce soit (Fiori exprimera d’ailleurs pendant longtemps son rejet de l’électronique et des manipulations de studio, sans doute un peu effrayé par ces nouvelles techniques, avant de changer radicalement d’opinion dans le courant des années 1980).
Ce parti-pris du tout-acoustique confère toutefois à ces compositions ténues une sorte de fragilité précieuse, presque transparente, tout en dessinant un climat intimiste à la coloration folk très marquée, et d’une rare délicatesse. Même la batterie, assurée par un invité, Réjean Emond, semble singulièrement discrète, n’intervenant au besoin que pour souligner quelques soudaines accélérations de cadences, allant même jusqu’à disparaître complètement sur certains titres. Les guitares sèches se taillent logiquement la part du lion, tantôt rythmiques ou déliées, égrenant alors de soyeux entrelacs mélodiques d’une légèreté précise, rehaussés en de rares occasions par un sobre accompagnement de claviers, ou saupoudrés de quelques envolées de flûte ou de flugelhorn (variante de la trompette, jouée ici par un autre invité, Alan Penfold, sur le final quelque peu béat du titre éponyme).
Car l’un des ingrédients les plus importants de cette musique diaphane, en tout cas l’un des plus manifestes, reste le chant expressif et coloré de Serge Fiori, en joual, ce parler populaire québécois si pittoresque pour nos oreilles européennes. Simples et immédiates, les paroles dégagent par ailleurs une poésie entêtante, tour à tour paisible ou soucieuse, parfois un peu confuse, mais d’une sincérité très personnelle et en adéquation parfaite avec la suavité des harmonies (un détail sans doute, mais la liaison malheureuse de "mille z’instruments", sur le premier titre, m’a quand même toujours fait sursauter…). Cette constante simplicité de ton, à l’opposé absolu, par exemple, de l’emphase affectée d’un Christian Décamps, exprime avec justesse une richesse d’états d’âmes qui finit insensiblement par déteindre sur l’auditeur.
Certes, la musique d’Harmonium paraît ici somme toute bien dépouillée, économe de ses charmes, flirtant même souvent avec une variété de luxe. Mais les principales qualités qui allaient assurer sa réussite y sont déjà présentes, ne demandant qu’à être soulignées et développées, jusqu’à briser le cadre formel étroit qui les bride encore. Cette collection de sages ballades acoustiques tire d’ailleurs l’essentiel de sa séduction de la fragilité même de ses arrangements : aucune note n’y semble superflue, la moindre intervention instrumentale résonne précieusement, comme une évidence mélodique faisant écho à l’incertitude des textes. Et la mélancolie ciselée qui en émane, sorte de nostalgie discrète agissant avec une indolence pénétrante, allait bientôt devenir l’une des marques de fabrique du groupe.
Le public, au demeurant, ne s’y trompe pas, et réserve à l’album un accueil enthousiaste : il s’en vend en tout 125.000 exemplaires, une performance considérable à l’échelle du Québec, due en grande partie au succès radiophonique des chansons "Un Musicien Parmi Tant d’Autres", "De la Chambre au Salon" et "Pour un Instant ” (à noter, le titre "100.000 Raisons", présent sur la réédition en CD, était en fait la face B de ce dernier 45 tours). Durant l’été 1974, Harmonium se produit en vedette à la Place des Arts, l’une des salles les plus prestigieuses de Montréal, et fait ensuite le tour du Québec pour assurer la promotion de l’album, bénéficiant d’un engouement qui ne se dément pas. "J'étais un peu content de la confirmation", raconte Serge Fiori, "parce que je savais à ce moment-là […] que j'avais la possibilité de toucher du monde. Et comment je voulais les toucher, c'était pas de la façon actuelle. Ce qui m'intéressait vraiment c'était de les prendre dans le cœur". C’est avec cet objectif en tête que le groupe, entre deux concerts, peaufine minutieusement ses nouvelles compositions, en vue d’un projet plus ambitieux et plus personnel encore.
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Dernière édition par Admin le Sam 20 Mar 2010 - 23:23, édité 3 fois
Histoire du groupe "Harmonium", suite - partie 2/5 !
HISTOIRE DU GROUPE "HARMONIUM"
suite - partie 2/5
suite - partie 2/5
Fort de la réussite de son premier opus éponyme, Harmonium retourne donc en studio pendant l’hiver 1975, à Montréal, pour enregistrer ce qui deviendra sans doute son album le plus fameux, plus souvent désigné par le nom Les Cinq Saisons que par son titre original à rallonge et quelque peu maladroit, "Si On Avait Besoin d’Une Cinquième Saison". L’état d’esprit communautaire qui caractérise alors la formation permet à cette occasion l’adoption de nouveaux musiciens : c’est ainsi que Pierre Daignault, ancien membre du groupe Infonie (formation mythique du tout début des années 1970, mélangeant rock, jazz, classique, chanson, poésie, mime, danse et théâtre dans un amalgame des plus extravagants), et Serge Locat, ex-membre de Nécessité, viennent se greffer au line-up originel pour accroître son répertoire instrumental, en se chargeant respectivement des instruments à vent (flûtes, saxophones et clarinettes) et des claviers (piano, Mellotron et synthétiseurs).
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Si on avait besoin d'une cinquième saison
Ce progrès considérable en terme d’instrumentation frappe d’ailleurs dès les premières notes de l’album, tant le registre sonore semble avoir gagné en épaisseur et en richesse de tons. Si les gentilles complaintes folkisantes du premier disque ne manquaient déjà pas de charme, cet opus rayonnant s’avère brusquement d’une toute autre ampleur, cette fois clairement affilié à la mouvance progressive au sens large du terme, par l’ambition et le haut niveau d’inspiration dont il fait preuve en permanence, aussi bien sur le plan des compositions que des arrangements. A l’image de ces improbables saisons qu’elles sont censées illustrer, les cinq pièces qui le constituent offrent ainsi une saisissante variété de climats, chacune ayant sa couleur propre et son lot d’éclatantes perles mélodiques, sans jamais pourtant engendrer la moindre impression d’incohérence ou de superflu.
Mais l’un des éléments les plus marquants de cette nouvelle alchimie instrumentale procède moins d’une adjonction que d’un étonnant ostracisme : aucun batteur ne complète en effet la formation, pas la moindre percussion (si l’on excepte les… cuillères, sur "Dixie" !) ne vient troubler le cours serein de ces morceaux éthérés, comme affranchis de la pesanteur toute terrienne d’un rythme en surimpression. C’est d’ailleurs à peine si cette absence se remarque, tant la profondeur mélodique et la mise en son luxuriante des thèmes captive l’oreille. Entre flûtes et saxophones virevoltants, lents soupirs mélancoliques de Mellotron, enchevêtrements de voix extatiques et arpèges de guitare graciles, cette musique béate se transforme en un hymne baba-cool aussi radieux qu’imperceptiblement taciturne.
De fait, l’agencement même des titres semble suggérer une lente descente de la lumière vers l’ombre, du bien-être épanoui vers un spleen aussi hypnotique que langoureux. Le premier morceau, "Vert", ouvre ainsi l’album sur une ambiance printanière des plus fleuries, portée par une rythmique obsédante de guitare sèche sur laquelle s’entrelacent les chants aériens de Serge Fiori et de Michel Normandeau, tout juste ponctués par des effloraisons colorées de saxophone, le temps d’un pont instrumental d’une grande fraîcheur. "Dixie", ou l’été, qui enchaîne avec sa guitare ragtime, son piano sautillant et ses cascades alertes de clarinette, est sans doute le morceau le plus primesautier jamais composé par le groupe, et allait d’ailleurs connaître un succès radiophonique foudroyant.
Les notes plaintives d’ondes Martenot (ancêtre du synthétiseur, joué ici par la claviériste du groupe jazz-rock Etcetera) qui introduisent "Depuis L’Automne" annoncent un brusque changement d’atmosphère avec une pièce grave et lancinante, dont la tristesse pénétrante, suggérée par de frêles arpèges de guitare acoustique, enfle au cours d’une lente montée en puissance, sur fond de Mellotron languissant et de chœurs enivrés, jusqu’à un thème final libérateur d’une fascinante splendeur, tout simplement imparable. Passé le gracieux "En Pleine Face" et son suave accompagnement d’accordéon assuré par Michel Normandeau, le poème symphonique "Histoire Sans Paroles", totalement instrumental comme son nom l’indique, vient conclure l’album en apothéose, du long de ses 17 minutes de nostalgie méditative et étrangement envoûtée : un thème d’une légèreté ensorcelante rappelant le Camel le plus bucolique, des ritournelles obsédantes de guitare que Mike Oldfield lui-même n’aurait sans doute pas reniées, des nappes inquiètes de Mellotron, sans compter les vocalises profondes de Judi Richards (l’une des choristes les plus en vue de l’époque, qui allait connaître par la suite un succès populaire avec le groupe disco Toulouse) entrelacées avec de majestueux arpèges de piano et une flûte languide, font de ce morceau un sommet de lyrisme tendre et vaporeux.
Au-delà de ces aspects purement musicaux, on ne peut également manquer d’être frappé par le côté sibyllin et de plus en plus ésotérique de la poésie de Serge Fiori. Est-elle ici simplement décorative, ou tente-t-elle de transmettre à mots couverts un message idéologique tacite, dans un registre pour le moins cryptique ? On peut sérieusement se poser la question, tant elle abonde en indices équivoques. Cet étrange besoin d’une "cinquième saison", n’exprime-t-il pas le désir d’un temps nouveau de liberté et de dignité retrouvée, celui d’un Québec affranchi et réconcilié avec lui-même ? Cette "chanson d’un parti qui fait p’us parti d’ici", si l’on en crois les paroles de "Depuis L’Automne", fait-elle référence au fameux Parti Québécois, mouvement indépendantiste qui n’allait pas tarder à accéder au pouvoir, et pour lequel Fiori n’a jamais caché sa sympathie (ce n’est un secret pour personne, Harmonium a tourné pendant un an pour cette formation politique, allant même jusqu’à faire la première partie d’un discours de René Lévesque le 31 mai 1975) ? Et comment douter encore, lorsque l’on découvre un peu plus loin cette strophe, au cœur de la même chanson : "Depuis que j’sais qu’ma terre est à moé, l’autre y’est en calvaire" ? Fiori s’en explique : "J’ai toujours eu l’impression d’avoir le Québec et la langue française dans le sang. Certaines personnes m’ont même identifié à ces deux causes… Comme quoi, encore une fois, il n’est pas nécessaire de parler pour que les gens se fassent une idée de ce que l’on pense ! Évidemment, cela a pris une couleur politique, mais en réalité je ne faisais qu’agir en fonction de ce que je ressentais, sans essayer de faire autre chose que d’exprimer mes idées par le biais des paroles de mes chansons". Dont acte.
Avec cette musique en état de grâce et le succès inespéré du titre "Dixie", "Si On Avait Besoin d’Une Cinquième Saison" consacre Harmonium comme l’un des plus grands groupes québécois des années 70 (aux côtés de Beau Dommage, autre formation mythique dont l’approche pop/folk plus traditionnelle, et surtout plus terre-à-terre, lui fut souvent opposée). Moins de deux semaines après sa sortie, l’album s’est déjà arraché à plus de 15.000 exemplaires, et dépassera allègrement les 100.000 copies. En France, en revanche, le disque ne sera pas officiellement distribué, victime de problèmes de production et de mauvais contrats (il s’en serait toutefois vendu près de 10.000 exemplaires en import, à Paris seulement). Rebondissant sur cette performance, Harmonium effectue une nouvelle tournée couronnée de succès à travers le Québec, puis marque un temps d’arrêt à la fin de l’été 1975.
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Cette nouvelle période dans la vie du groupe va encore être l’occasion de profonds remaniements de personnel. Sans doute un peu dépassé par le débordement créatif de Serge Fiori et par sa thématique musicale de plus en plus ésotérique, mais aussi usé par une suite de mésententes sur lesquelles il demeure encore aujourd’hui assez vague ("Une série de choses… comme dans une relation de couple", déclarait-il récemment), Michel Normandeau décide en effet de quitter la formation au milieu de l’année 1976. Ce départ inopiné sera également vite suivi par celui de Pierre Daignault. En compensation, le groupe accueille dans ses rangs le guitariste électrique Robert Stanley, le batteur Denis Farmer (deux musiciens ayant déjà joué ensemble au sein du Ville Emard Blues Band, sorte d’avatar collectif englobant d’autres formations de pop expérimentale telles que Contraction ou Toubabou, cette dernière se distinguant par ses percussions africaines), le flûtiste Libert Subirana (officiant également aux saxophones et clarinettes, issu de l’orchestre de Georges Fiori), et enfin la choriste (et pianiste) Monique Fauteux, ce qui portera son effectif officiel à sept musiciens.
Dans la foulée de ce soudain élargissement, Harmonium décide en outre de choisir un nouvel impresario, Paul Dupont-Hébert, en lieu et place du vétéran des premières heures, Yves Ladouceur, qui ne se gênera guère pour exprimer publiquement son mécontentement. On doit d’ailleurs à ce dernier un livre aux allures de règlement de compte, intitulé "Harmonium – Une Histoire A Raconter" (paru en 2000, aux éditions du 12ème Art), dont le groupe s’est officiellement dissocié du contenu, accusant l’auteur de mélanger fabulation et réalité, et de n’offrir qu’un éclairage biaisé et malsain sur l’histoire de la formation. Malheureusement, cette "biographie non autorisée", écrite souvent dans un français plus qu’approximatif, est aussi le seul document d’importance disponible pour qui veut approfondir ses connaissances sur le parcours du groupe. Yves Ladouceur y prétend notamment qu’Harmonium serait "passé à côté de sa destinée" en refusant un contrat en or avec la multinationale Warner, incluant un album en anglais et la promesse d’une percée internationale. Sous la direction de Paul Dupont-Hébert, c’est en effet la compagnie CBS (l’actuelle Sony Music) qui va hériter du gros lot, et produira le futur double-album du groupe, alors en pleine composition.
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Histoire du groupe "Harmonium", suite - partie 3/5 !
HISTOIRE DU GROUPE "HARMONIUM"
suite - partie 3/5
suite - partie 3/5
En juin 1976, Harmonium rompt son année sabbatique en participant aux côtés de Beau Dommage, Octobre, Contraction, Raoul Dugay et Richard Séguin au spectacle "OK nous v’là !", organisé sur le Mont Royal à l’occasion de la fête nationale québécoise, devant plus de 400.000 spectateurs, et au cours duquel Serge Fiori effectuera une prestation particulièrement remarquée. Au cours du même été, alors que le Québec entier est absorbé par les jeux de la vingt-et-unième Olympiade qui se tient cette année-là à Montréal, le groupe se lance enfin dans l’enregistrement de l’œuvre la plus ambitieuse de son répertoire, et sans doute également de toute la scène québécoise de l’époque, la fameuse Heptade. Ce travail aura lieu presque en pleine nature, dans la maison même de Serge Fiori, à Saint-Césaire, une bourgade des cantons de l’Est, dans laquelle est installé pour l’occasion un véritable studio, relié à des camions remplis d’équipement technique. Pendant quatre mois, musiciens et techniciens vont vivre côte à côte, et bien que le groupe se réclame d’un fonctionnement communautaire, projetant même d’instaurer un système de coopérative pour répartir ses bénéfices ("on est vraiment des ouvriers de la musique", déclare Fiori à ce sujet), quelques tensions commencent à se dessiner. "C'est certain qu’on ne pouvait pas vivre constamment en commune", raconte toujours Fiori. "Moi qui suis extrêmement individualiste, je n'avais plus de chez-moi et les autres n'en avaient pas davantage. À l'avenir, on veut trouver un atelier dans lequel on veut travailler ensemble le jour, pour se retrouver chacun chez soi le soir".
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L’une des contributions les plus importantes à cet enregistrement viendra toutefois de l’extérieur du groupe : outre les talents de chanteurs de Pierre Bertrand (de Beau Dommage), Richard Séguin (autre figure marquante de la scène pop/folk québécoise, dont le duo avec sa sœur jumelle, Marie-Claire Séguin, est resté mythique, en particulier grâce à l’album Récolte de Rêves sorti en 1975) et Estelle Sainte-Croix, qui viennent renforcer les chœurs à côté de Monique Fauteux, Harmonium fait en effet appel à un compositeur-arrangeur d’obédience classique, Neil Chotem, pianiste de formation alors méconnu, afin d’ajouter une texture symphonique à l’album. Ce dernier va se charger des arrangements classiques, et composer plusieurs interludes musicaux destinés à s’intercaler entre (voire même à s’insérer à l’intérieur) des morceaux du disque. Ces diverses sections seront enregistrées sous sa direction par des musiciens de l’Orchestre Symphonique de Montréal, dans des locaux séparés, et rajoutées au mixage final. Le choc culturel entre l’éducation musicale pour le moins académique de Neil Chotem et le jeu instinctif d’un groupe qui ne se fiait jusqu’alors qu’à son propre feeling, n’écrivant pratiquement pas sa musique, est tout à fait perceptible à l’écoute du disque, malheureusement quelque peu au détriment de ce dernier état d’esprit.
Il faut dire aussi que cet imposant album double ne se distingue guère, sur le fond, par la légèreté de son concept ou par la clarté de son propos, même s’il s’agit aussi indéniablement de l’œuvre la plus personnelle jamais réalisée par Serge Fiori (Michel Normandeau participera tout de même à l’écriture de quelques-uns des textes, juste avant de quitter la formation). L’Heptade, comme son nom l’indique, est entièrement centrée autour du chiffre sept (comme par hasard le nombre de musiciens formant le groupe) : sept chansons, donc, illustrant sept niveaux graduels de conscience, entre déraison et illumination spirituelle, vécus par un personnage à travers son quotidien. Un sujet certes plutôt abstrait, mais que pouvait-on attendre de plus intime de la part d’un artiste adepte de la méditation depuis l’âge de quatorze ans ? Quel que soit le regard que l’on puisse porter dessus, Fiori décrit ici une expérience intérieure profondément sincère, et reste le plus à même de l’expliquer : "L'Heptade (a été conçue) en partant de la magie du chiffre sept, qui englobe le cycle des religions, des planètes, des couleurs, de la semaine. Tous les cycles sont construits sur le chiffre sept. J'ai voulu […] établir un cycle d'évolution qui part de la naissance ou de la folie qui se rend par étapes jusqu'à la sagesse. C'est une évolution qu'on vit carrément tous les jours, du matin (naissance) au soir (sommeil) […]. J'ai essayé avec les paroles et la musique, à chaque phrase, que les gens perçoivent cette évolution en trois ou quatre dimensions : conscience, aspects religieux, réaliste et intellectuel. Pour la bonne raison que moi, je ne suis pas seulement intellectuel ou uniquement émotif mais je suis à la fois religieux, pratique, émotif... Alors j'ai essayé de toucher les gens dans toutes leurs dimensions…".
On ne peut mieux dire, tant cette réalisation nébuleuse (les nuages qui l’illustrent en résument très bien l’esprit…) explore de dimensions psychiques occultes, pour ne pas dire hermétiques, supportant ainsi presque autant de lectures différentes que d’auditeurs. Malheureusement, les choix privilégiés en termes d’arrangements et d’instrumentation, révélateurs de l’ambition même du projet, s’avèrent au final souvent plus néfastes que franchement congruents, et affaiblissent considérablement l’impact viscéral de compositions conçues pour être ressenties avant même d’être écoutées. Pour tout dire, les courtes séquences classisantes à vocation atmosphérique qui parsèment les titres apportent bien peu au projet, voire plombent l’album par un effet de délayage excessif, tout en ralentissant à l’extrême un rythme déjà excessivement indolent, comme freiné intentionnellement pour rajouter à la musique une sorte de majesté artificielle.
Exit les nappes envoûtantes de Mellotron qui faisaient une partie de la saveur du précédent opus, désormais bien discrètes : si l’on excepte les interventions occasionnelles de la guitare électrique, fondues dans cet ensemble majoritairement acoustique, et quelques rares épanchements de synthétiseurs (sur le final du "Premier Ciel" en particulier), le piano et la guitare acoustique dominent le spectre sonore, se livrant à des échanges il est vrai fort subtils et souvent empreints d’une réelle ferveur. Mais cette couleur acoustique, si éclatante sur les deux premiers albums, peine ici à affirmer sa légèreté, comme étouffée par l’épaisseur austère et quelque peu affectée des accompagnements orchestraux. Pour couronner le tout, le transfert au format CD n’a guère relevé le lustre de l’enregistrement (la matrice originelle ayant été endommagée lors de l’inondation d’un entrepôt de la compagnie CBS, c'est un vinyle qui a dû être utilisé comme source sonore) : du souffle et quelques grésillements lointains sont parfois perceptibles sur les passages les plus calmes.
Et pourtant, malgré cette mise en forme souvent pesante, la magie opère de nouveau avec un magnétisme tenace, propagée par quelques-unes des pièces les plus fortes jamais composées par le groupe, une puissance suggestive et émotionnelle encore renforcée par l’extraordinaire charisme vocal de Fiori, et qui place incontestablement l’Heptade au sommet de l’œuvre brève mais intense d’Harmonium. Tour à tour lumineuse ou tourmentée, cette longue méditation musicale s’achemine imperceptiblement, à travers maints sursauts de pure énergie passionnelle, vers un apaisement cathartique d’une renversante beauté, sorte de plénitude mélodique épanouie qui résume à elle seule la personnalité unique et profondément sensitive de ce groupe hors normes. Entre contemplation béate et transports intérieurs fiévreux, la musique d’Harmonium semble ici faire le pont entre une réalité débilitante et un univers mental en devenir, source de toutes guérisons et pourvoyeur d’un salut réparateur. Un thème fascinant, magnifiquement illustré, mais pas forcément rassurant quant à l’équilibre psychologique réel de son principal créateur.
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Qu’importe, car l’Heptade ne se limite pas à la vision illuminée d’un seul homme : elle en est en quelque sorte une traduction collective, et doit l’essentiel de son attrait à la sensibilité et aux talents cumulés des musiciens qui la portent. Ainsi, les instruments à vent (flûtes, clarinettes et saxophones), tenus avec beaucoup de finesse par Libert Subirana, dessinent des intermèdes mélodiques gracieux et fort opportuns, tandis que l’intégration de la batterie en tant qu’élément à part entière de la charpente instrumentale s’avère littéralement salvatrice, en étayant une musique qui, malgré la beauté de ses mélodies, manque tout de même à une ou deux reprises de sombrer dans une torpeur cataleptique (notamment sur le pont immatériel de "L’Exil", sans doute la pièce la plus ouvertement dépressive du disque). Par ailleurs, les harmonies vocales très pures, associées au chant bouleversé de Fiori (tout juste relayé par Monique Fauteux sur "Le Corridor", un titre d’une douceur irréelle que l’on croirait taillé pour sa voix capiteuse), et à quelques contrepoints fragiles de piano électrique, confèrent aux compositions une chaleur apaisante, parfois presque latine (cf. l’introduction de "Chanson Noire" et son rythme de bossa).
Au bout du compte, l’Heptade s’impose comme une œuvre majuscule, d’une inépuisable richesse, et qui tire une grande partie de sa force dans sa structure même, en particulier le fait de commencer et de s’achever sur deux temps forts, véritablement marquants : deux morceaux qui, placés en miroir l’un de l’autre, expriment chacun une passion opposée avec un lyrisme aussi enivré que convaincu. "Comme un Fou" lance en effet l’album grâce à une ardente envolée mélodique, abrupte et tourmentée, tandis que son inévitable corollaire final, "Comme un Sage", ferme le rideau sur un thème d’une désarmante limpidité, à la fois serein et étrangement recueilli, dans lequel la basse feutrée de Louis Valois fait littéralement merveille. Même si cette version studio parfois empesée ne lui rend pas forcément totalement justice, cette inspiration très au-dessus de la moyenne, associée à la force structurante de son concept, fait de l’Heptade un opus d’une sensibilité unique dans l’histoire des musiques progressives, et qui marquera profondément la génération québécoise qui l’a vu naître.
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Histoire du groupe "Harmonium", suite - partie 4/5 !
HISTOIRE DU GROUPE "HARMONIUM"
suite - partie 4/5
suite - partie 4/5
Sorti à la mi-novembre 1976, cet album aux allures de superproduction (la réalisation del’Heptade aura en effet coûté près de 85.000 dollars, un budget alors sans précédent dans l’industrie du disque québécoise) connaît, comme ses deux devanciers, un véritable triomphe dans son pays d’origine : en à peine quatre mois, il franchit le cap des 100.000 exemplaires vendus, et atteindra plus de 200.000 copies sur toute sa carrière. La tournée qui suit est également la plus grande et la plus longue jamais entreprise par le groupe. Pendant plus de deux ans, Harmonium va littéralement sillonner le Canada, visitant toutes les grandes villes du pays (Toronto, Kitchener, Kingston, Hamilton, London et Vancouver), et remporter un énorme succès dans les provinces anglaises, notamment en Ontario. Ce gigantesque périple le mènera même jusqu’en Europe, en septembre 1977, où il fait la première partie des concerts de Supertamp, et aux États-Unis, en septembre/octobre 1978, à San Francisco et Los Angeles. Il faut dire aussi que le groupe, surfant sur cet engouement exceptionnel, envisage alors une carrière internationale (la France, le Japon, et pourquoi pas les États-Unis ?…), et affiche un profil résolument conquérant.
Pourtant, ce soudain débordement d’activité apparaît avec le recul comme une façade, car il masque en réalité une crise généralisée extrêmement profonde, tant sur le plan créatif que personnel. Avec l’Heptade, album ultime et presque libérateur, le groupe semble avoir tout dit, et manque brusquement d’une vision musicale cohérente. Pendant le peu de temps libre entre deux concerts, quelques-uns de ses membres s’éparpillent dans des projets solos, à commencer par Serge Fiori lui-même, dont la collaboration avec Richard Séguin allait engendrer en 1978 un nouvel album-culte de la génération québécoise des années 70, le fameux 200 Nuits à l’Heure. En outre, la pression qui s’exerce sur le groupe est énorme, source de conflits personnels, et la gigantesque tournée qui bat son plein (certains soirs, Harmonium assure même deux concerts d’affilé !) va complètement épuiser les musiciens, et tout particulièrement Fiori, qui sombre littéralement : "Je ne pouvais plus continuer physiquement. Il m’a fallu un an pour reprendre ma santé, et quand ma "maladie" a cessé, j’ai compris que j’avais douze ans de stock, de concessions dans le corps. Il y avait longtemps, en plus, que j’avais cessé d’écrire, à cause de la tournée. Douze ans à s’enfermer deux ou trois mois pour faire un disque, à dormir dans un bus ou quelques heures à l’hôtel, à se rendre dans les salles pour le réglage du son vers midi… Je suis devenu gaga, à la fin. J’avais des choix à faire : continuer sur scène ou me retirer pour écrire, créer".
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200 Nuits à l'heure
Mais par-dessus tout, le coup de théâtre politique qui secoue le Québec à cette époque va changer la donne en profondeur, et précipiter la crise au sein d’une formation en pleine phase de doute. Depuis sa création en 1972, Harmonium avait en effet été porté en grande partie par la vague de fond idéologique qui s’était emparée de la jeunesse québécoise dans les années 1970, une revendication identitaire latente, mais fermement enracinée, dont le groupe s’était fait, parmi quelques autres artistes, le représentant plus ou moins tacite (malgré quelques confessions un peu édulcorées, certains se souviennent que Fiori a soutenu lors de concerts les actions des nationalistes les plus durs, y compris le Front de Libération du Québec). Cette période d’effervescence tranquille va connaître son apogée et même, en quelque sorte, son dénouement, le 15 novembre 1976 (soit très exactement la veille de la sortie officielle de l’Heptade), avec l’arrivée au pouvoir du Parti Québécois et l’élection au poste de Premier Ministre de René Lévesque, figure sacro-sainte du nationalisme québécois pour laquelle Serge Fiori voue une admiration profonde ("J'ai connu cet homme-là personnellement", se souviendra Fiori lors d’une interview en 1988, "J'ai vu le feu qui l'habitait, l'importance d'une nation et l'importance d'une culture dont on faisait tous partie, et... Je ne comprends pas ! Il est mort et j'ai l'impression que tout le monde est mort avec lui"). Du jour au lendemain, dans un pays brusquement en quête de légitimité et de reconnaissance de la part du monde extérieur, la culture va devenir un enjeu politique majeur, et ses principaux acteurs - y compris ceux de la contre-culture qu’incarne Harmonium - investis d’une nouvelle et souveraine mission de représentation nationale.
Réédité en VHS en 1993, puis au format DVD, le documentaire de Robert Fourtier intitulé "Harmonium en Californie" (ONF Canada 1980), s’il peut sembler bien anecdotique de par l’étroitesse ciblée de sa perspective, apporte toutefois un éclairage particulièrement précis sur le climat politique régnant à cette période, et contient peut-être même l’une des explications les plus plausibles de la dissolution prématurée d’Harmonium. Ce film d’une trentaine de minutes fut réalisé à l’occasion de l’incursion du groupe à San Francisco et à Los Angeles à l’automne 1978, dans le cadre d’une semaine culturelle du Québec aux États-Unis, impliquant d’autres artistes (acteurs, cinéastes et musiciens), des politiques (René Lévesque en tête), et totalement financée par le gouvernement québécois. Les commentaires des divers intervenants sont édifiants. Entre les explications compassées de la voix off, les conférences de presse de René Lévesque qui compte visiblement sur cet événement pour attirer l’attention des médias, le constat sans appel de Paul Dupont-Hébert ("la situation politique chez nous est culturelle : ça va de pair"), Serge Fiori a finalement le dernier mot : "On ne tient pas à réussir si on ne peut pas rester nous-mêmes. Ce qui est important pour moi, c’est la culture du Québec". Et Harmonium dans tout çà ? Il semble avoir bien du mal à se raccrocher aux wagons…
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Harmonium, qui devait ouvrir cette semaine du Québec par un concert à l’auditorium de l’université de Berkeley, voit cette date annulée car le camion transportant l’équipement s’est perdu en route. C’est l’occasion de voir un Fiori tout penaud, tentant maladroitement de s’expliquer devant René Lévesque ("Ça arrive quand, vos maudits instruments ? ", "Ç’peut d’arriver au milieu d’cette nuit… j’comprends pas…", […] "Rattrapez-vous, il reste quelques jours"). En outre, l’époque se prête de moins en moins aux musiques progressives ambitieuses, la déferlante punk et disco a balayé le terrain, et Harmonium se voit contraint de se produire dans de petites salles, mal adaptées pour recevoir l’équipement encombrant dont il a maintenant besoin. Au bout du compte, tout suggère ici un décalage complet entre les motivations artistiques déclinantes du groupe et son nouveau statut honorifique, mais bien encombrant, d’ambassadeur culturel du Québec. Cette situation inconfortable, la fatigue, le manque d’inspiration commune et les problèmes financiers (malgré le soutien de CBS, les musiciens ont dû financer de leur poche une partie de l’enregistrement de l’Heptade), achèveront bientôt d’avoir raison du groupe.
En attendant, au-delà de ces observations historiques presque prémonitoires, ce film est aussi le seul document qui nous donne à voir le groupe sur scène, à travers quelques très courts extraits de l’Heptade, et surtout l’interprétation intégrale de la chanson de Serge Fiori "Viens Danser", titre que l’on peut entendre sur l’album de Fiori/Séguin, 200 Nuits à l’Heure (une escapade à laquelle ont participé l’essentiel des membres du groupe, y compris l’arrangeur classique Neil Chotem). La formation qui se produit ce soir là sur la scène du club Starwood (pardon, du "clûb", dixit la voix off…), une boîte de Los Angeles de dimension moyenne, a subi depuis fin 1977 une ultime modification, puisque le claviériste Serge Locat, engagé dans une aventure solitaire (on lui doit un album solo, Transfert, paru en 1978), s’est vu remplacé par un nouveau membre, Jeffrey Fisher, au talent d’instrumentiste indéniable, mais d’une sensibilité peut-être légèrement plus superficielle que son prédécesseur.
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Comparé aux pièces ambitieuses auxquelles Harmonium nous a habitués, ce titre en apparence plutôt quelconque, avec son refrain un peu naïf et son chorus de piano sautillant façon bastringue, pourrait presque passer pour anecdotique. Pourtant tout s’éclaire, le temps d’un époustouflant break de saxophone, prélude à un irrésistible crescendo final dans lequel la dynamique puissante du groupe balaye toute objection. Entre l’extraordinaire énergie dégagée par Fiori, tour à tour aux claviers et aux caisses claires, malgré un jeu de scène pourtant entravé par la quantité impressionnante de matériel et d’instruments qui encombre la scène, la virtuosité de Jeffrey Fisher au synthétiseur et au… piano-jouet pour enfant, la finesse déliée de l’accompagnement rythmique, le groupe semble littéralement communier avec le public, un élan d’exaltation qui parvient encore à passer, vingt-cinq ans plus tard, à travers le petit écran. Cette communication avec son auditoire a d’ailleurs toujours été, pour l’anxieux Serge Fiori, un souci essentiel : "Au niveau du spectacle, Harmonium essaie de faire parler le public afin qu'il cesse toujours de recevoir béatement. Les gens ont l'habitude de s'asseoir et de dire : "Donne-moi tout". Je pense qu'il faut être assez stimulant pour provoquer une réponse de la salle à toi". Mission réussie, si l’on en juge aux commentaires ravis des spectateurs en sortie de salle ("Pas une chanson en anglais… mais c’était bien quand même !").
Ce témoignage audiovisuel unique montre à quel point Harmonium avait fait de la scène son élément privilégié : de mémoire même des aficionados qui ont eu la chance d’y assister, l’intensité de ses interprétations faisait de chacune de ses apparitions publiques une expérience inoubliable. Il suffit, pour achever de s’en convaincre, d’accorder une oreille, même distraite, au fameux double-album En Tournée, autre document qui nous est parvenu de cette période, et cette fois d’une toute autre importance, puisqu’il ne s’agit rien moins que de l’enregistrement intégral de l’Heptade, réalisé lors d’un concert à Vancouver, au mois de juin 1977.
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Histoire du groupe "Harmonium", suite - partie 5/5 !
HISTOIRE DU GROUPE "HARMONIUM"
suite - partie 5/5
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Du fait de sa grande rareté, cette pièce de collection a été pendant longtemps entourée d’un véritable mythe, allègrement propagé et entretenu par les quelques fans du groupe ayant le privilège de la posséder. Publié en 1980 par la Société Radio-Canada sans le consentement d’Harmonium, le microsillon fut en effet retiré du marché après quelques procédures judiciaires et, jusqu’à très récemment, ne fut jamais réédité au format CD. Inutile de dire que cette mésaventure a fait entre temps le bonheur des pirates, et que l’on ne compte plus les 'bootlegs' plus ou moins bien bricolés à partir du vinyle. Fin 2001 et début 2002, deux versions non-officielles vont ainsi voir le jour presque coup sur coup, l’une espagnole ("label" Blue Moon) et de fort piètre qualité, vendue au compte-gouttes sous le manteau, l’autre bénéficiant d’un son impeccable et accompagnée d’un livret luxueusement illustré, cette fois plutôt bien distribuée (elle atterrira jusque dans les bacs des disquaires québécois), produite par le label Coréen M2U, apparemment victime de bonne foi d’une escroquerie aux droits de reproduction (dans cette version, un imposteur se serait fait passer pour Serge Fiori…). Cette dernière affaire a d’ailleurs causé un certain bruit au Québec (la presse locale s’en est même faite l’écho), suffisamment pour que le groupe, excédé et surtout scandalisé de se voir spolier par des faussaires à la petite semaine, souvent d’ailleurs aux dépens de ses propres fans, décide de casser ce marché, en rééditant très officiellement l’album à son propre compte, fin 2002.
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L'album l'Heptade en tournée
Finalement, on se demande tout de même pourquoi Harmonium n’a pas jugé bon plus tôt de prendre cette légitime initiative, car il paraît invraisemblable, à l’écoute de ces deux disques exceptionnels, qu’un pareil joyau ait pu demeurer aussi longtemps dans l’ombre. Entendons-nous bien, les collectionneurs avides d’inédits resteront ici sur leur faim, car il ne s’agit pas d’autre chose que de l’interprétation conforme et intégrale ("dans son entièreté", dixit Fiori) de l’Heptade, mais quelle époustouflante version ! La voici enfin, cette œuvre tellement intime, presque introvertie, en même temps fragile et intense, dévoilée au public dans toute sa fastueuse splendeur, rutilante, débarrassée de son étouffante gangue orchestrale au profit d’un son électrique, puissant et envoûtant, incroyablement dynamique. Jamais l’émotion qui en émane n’a semblée aussi palpable, déversée par un Fiori plus bouleversant que jamais, et par l’alliance unique d’instrumentistes surdoués (à cette date, c’est encore Serge Locat qui assure les claviers), tous au sommet de leur art, qui trouvent ici un terrain particulièrement fécond pour exprimer leur jeu sans restriction, dans toute sa prolixe subtilité.
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A des années-lumière de la nonchalance affectée et du ralenti artificiel qui alourdissaient bien malencontreusement la version studio de l’Heptade, ces sept titres en état de grâce semblent ici littéralement déborder d’énergie et de fougue démonstrative, dessinant un climat tendu et proprement captivant, exempt du moindre temps mort. En se substituant à l’orchestre sans jamais tenter de le contrefaire, les claviers retrouvent fort avantageusement leur dimension primordiale, en premier lieu le Mellotron céleste de Serge Locat et ses accords vaporeux, responsable de cet incomparable sentiment d’irréalité et de tendresse émue, plus pénétrant encore lorsque les flûtes et autres instruments à vent joués par Libert Subirana s’y surajoutent avec une délicate fluidité. Par ailleurs, l’omniprésence de la guitare électrique, associée au feeling très bluesy de Robert Stanley, confère à cet album le son sans doute le plus abrupt et le plus affilé de toute la discographie d’Harmonium, une dimension parfois presque agressive que le groupe semble investir avec une véhémence inédite.
Si la plupart des chansons restent assez fidèles aux versions d’origine, d’autres sont totalement transfigurées, à l’instar de cet extraordinaire "Premier Ciel", qui voit sa durée doublée jusqu’à atteindre les vingt minutes, transformé en une hallucinante pièce épique faite d’une succession saisissante de tensions et de ruptures : traversée par des épanchements de guitare furieuse, des envolées effrénées de saxophone, et un refrain envoûtant scandé avec une puissance quasi incantatoire, ce morceau fiévreux culmine finalement sur une performance ébouriffante, un solo de Moog totalement déchaîné et presque extatique, tout bonnement anthologique. Même traitement pour "Lumière de Vie", dont l’instrumental de piano un brin longuet sur l’album studio se trouve déplacé et raccourci au profit d’un très long solo de guitare de Robert Stanley au lyrisme poignant, relayé par une séquence éthérée de synthétiseurs semblant sortir de nulle part, sorte d’évocation immatérielle d’un apaisement presque absolu. Inutile d’être plus explicite : cette interprétation somptueuse, traversée par un souffle épique ininterrompu, transcende d’assez loin la seule version jusqu’alors disponible de l’Heptade, à certains égards, et par comparaison, bien poussive.
On saluera en outre la netteté et le relief de la prise de son, même si l’on peut déplorer quelques imperfections vraisemblablement dues au transfert sur bande magnétique, en particulier un léger effet de "pleurage" (des tremblotements sensibles sur certains arpèges de guitare acoustique ou sur plusieurs nappes d’orgue un peu prolongées), et quelques "crachements" malencontreux au niveau du chant (les sifflantes ont parfois un peu de mal à passer, malgré un indéniable travail de nettoyage réalisé par rapport au vinyle). Rien de rédhibitoire au demeurant, au regard de l’intérêt et de la qualité exceptionnelle de ce document. Car si cet album est peut-être historiquement le plus accessoire de la carrière d’Harmonium, il n’est pas interdit de le considérer, sur le plan artistique, comme le témoignage le plus probant de son savoir-faire musical, voire - un pas que certains jugeront sans doute excessif, préférant peut-être la fraîcheur spontanée de "Si On Avait Besoin d’Une Cinquième Saison" à l’ambition parfois un peu gourmée du présent opus, mais que je n’hésite pas personnellement à franchir - comme le sommet absolu de son parcours discographique. Un album en tout cas à découvrir d’urgence, avec d’autant moins d’excuses qu’il est maintenant officiellement distribué par le groupe !
En tout état de cause, Harmonium est, à la date de cet enregistrement, au sommet de sa gloire. Aussi incroyable que cela puisse paraître, pour les raisons précédemment évoquées, le groupe va se laisser mourir doucement, et s’éclipser insensiblement de la scène. Le 20 mai 1980, le référendum sur la souveraineté du Québec lancé par René Lévesque est rejeté par 60% de la population. Ce désaveu cinglant (qui n’empêchera tout de même pas Lévesque d’être réélu en 1981) marque la fin d’une ère d’utopie sereine (mais qui voit aussi la modernisation croissante du pays), et le début d’une période mollement consensuelle qui laissera Serge Fiori amer et profondément désillusionné. Harmonium, déjà, n’est plus qu’un souvenir, trahi par son époque, témoin éphémère d’un rêve inaccompli. Que reste-t-il alors de cette fougue et de cet enthousiasme si tangibles encore à l’écoute des derniers enregistrements de la formation ? "Je ne suis pas capable de me dégager de l'intensité de ce groupe-là et de l'intensité de ce qui s'est passé, puis je le traîne avec moi", déclarait Fiori près de dix ans après la dissolution. "Ça ne sort pas de moi, ça ne sort pas de mes veines. Harmonium c'est encore Harmonium... Je trouve ça beau que ça finisse comme ça, à brasser comme ça a brassé".
Aujourd’hui, Louis Valois est propriétaire d'un studio de post-production et partage sa vie avec la chanteuse Monique Fauteux. Michel Normandeau, qui a composé en 1979 un album solo intitulé Jouer, se consacre depuis 1991 à la francophonie au Ministère de la Culture, et est aujourd’hui directeur général du Conseil de la Musique du Canada. Serge Locat, à qui l’on doit l’album Transfert en 1978, a également joué sur l’album de Michel Normandeau, et compose actuellement pour la télévision. Libert Subirana devint dans les années 1980 le chef d’orchestre des spectacles de l’humoriste Yvon Deschamps, et compose occasionnellement des génériques. Robert Stanley fait encore régulièrement des spectacles avec des artistes québécois, notamment Robert Charlebois. Après avoir brièvement continué sa carrière de musicien, le batteur Denis Farmer est malheureusement décédé d’un arrêt cardio-vasculaire en 1986. Neil Chotem a sorti un album enregistré en concert, en 1979, Live au El Casino – Entendez-vous ? Y a un Piano Qui Joue, avec la participation de Fiori, Denis Farmer, Monique Fauteux, Libert Subirana, Louis Valois et Marie-Claire Séguin. Paul Dupont-Hébert est producteur chez Zone 3 (Notre-Dame de Paris), après avoir été longtemps directeur des émissions de variétés à Radio-Canada. Si l’on excepte le 45 tours "Chanson du Festival Juste Pour Rire" datant de 1984, Serge Fiori est l’auteur d’un unique album solo, simplement intitulé Fiori, paru en 1986, et dont on attend toujours la suite… On lui doit aussi quelques chansons pour Diane Dufresne et Yvon Deschamps au début des années 1980, ainsi que la musique et les textes de l’album Changement d’Adresse, en 1987, pour son amie Nanette Workman (chanteuse plutôt méconnue en France, bien qu’elle ait contribué à la première mouture de Starmania dans les années 70). Depuis, il se consacre à la production dans son propre studio, et compose des musiques de films. Adepte de la méditation et du yoga, ses apparitions publiques se font rares.
Quant à Harmonium, banni des ondes durant les années 1980, occulté pendant un temps pour ce que certains ont cru percevoir comme des excès, et pour l’époque qu’il représente, il aura pourtant imprimé une marque profonde et durable dans l’inconscient collectif québécois. Plus que tout autre groupe, en tout cas avec une conscience peut-être plus aiguisée, il aura symbolisé la fierté d’un peuple et ses aspirations à un idéal supérieur. De façon implicite, il aura également contribué à élever un pays qui, au cœur des années 1970, était encore à la recherche de lui-même, en lui renvoyant une image gratifiante et fédératrice, pour le faire finalement entrer de plain-pied dans la modernité. Preuve de cette aura exceptionnelle, Harmonium possède aujourd’hui son propre 'cover-band', fort opportunément appelé "L’Éveil", qui continue, trente ans plus tard, à écumer les bars et les boîtes à chansons sur les traces de son illustre modèle. Par ailleurs, la télévision québécoise lui a même consacré, en 2003, une fiction documentaire en quatre parties retraçant l’histoire du groupe, et dont Serge Fiori a composé la musique (pour l’anecdote, Yves Ladouceur s’est d’ailleurs pourvu en justice pour tenter d’interdire cette série, dans laquelle, il faut bien l’avouer, il n’est pas décrit sous un jour très flatteur : idiot, incompétent et vulgaire…). Pouvait-on imaginer une reconnaissance plus éclatante du statut unique occupé par Harmonium dans le patrimoine culturel canadien ? "Toute bonne chose a une fin", déclarait Fiori en 1991, "mais aussi une continuité". Sans doute est-ce là le plus bel enseignement que l’on puisse tirer de cette aventure, peut-être même ce que peuvent se dire les jeunes générations québécoises qui, encore aujourd’hui, découvrent avec étonnement le legs inestimable de ce groupe emblématique…
Olivier CRUCHAUDET
(dossier publié dans Big Bang, n°48 - Mars 2003)
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