La passion corporelle de Jésus
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La passion corporelle de Jésus
La Passion corporelle de Jésus
Publié par Jean-Baptiste Maillard le 19 mar 2008 dans Méditations |
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A quelques jours de la Crucifixion, nous vous livrons ici une superbe médiation du Docteur Pierre Barbet, Chirurgien de l’Hôpital Saint-Joseph de Paris. Pour mieux comprendre ce qu’Il a souffert pour nous sauver, et nous unir à Lui, dans la prière. On nous précise que ce texte date de 1940.
LA PASSION CORPORELLE DE JESUS
S’il est une légende ancrée dans les esprits, c’est celle de la dureté de cœur des chirurgiens : l’entraînement, n’est-ce pas, émousse les sensations et cette accoutumance, étayée par la nécessité d’un mal pour un bien, nous constitue dans un état de sereine insensibilité. Ceci est faux.
Si nous nous raidissons contre l’émotion, qui ne doit ni paraître, ni même extérieure, ni entraver l’acte chirurgical, comme le boxeur, d’instinct, contracte l’épigastre où il attend un coup de poing, la pitié en nous reste toujours vivante et s’affine même avec l’âge. Quand on s’est penché pendant des années sur la souffrance d’autrui, quand on y a goûté soi même on est certes plus près de la compassion que de l’indifférence, parce que l’on connaît mieux la douleur, parce qu’on en sait mieux les causes et les effets.
Aussi, lorsqu’un chirurgien a médité sur les souffrances de la Passion, quand il en a décomposé les temps et les circonstances physiologiques, quand il s’est appliqué à reconstituer méthodiquement toutes les étapes de ce martyre d’une nuit et d’un jour, il peut, mieux que le prédicateur le plus éloquent, mieux que le plus saint des ascètes (à part ceux qui en ont eu la directe vision, et ils en sont anéantis), compatir aux souffrances du Christ. Je vous assure que c’est abominable ; j’en suis venu pour ma part à ne plus oser y penser. C’est lâcheté sans aucun doute, mais j’estime qu’il faut avoir une vertu héroïque ou ne pas comprendre, qu’on doit être un saint ou un inconscient, pour faire un Chemin de Croix. Moi, je ne peux plus.
Et c’est pourtant ce Chemin de Croix qu’on me demande d’écrire; c’est ce que je ne peux pas refuser, parce que je suis sûr qu’il doit faire du bien. O bon et très doux Jésus, venez à mon aide. Vous qui les avez supportées, faites que je sache bien expliquer vos souffrances. Peut être, en m’efforçant de rester objectif, en opposant à l’émotion mon «insensibilité » chirurgicale, peut-être pourrai-je arriver au bout.
Lector amice, sub aliena potestate constitutus sum; si non possis portare modo, habe me excusatum. Si je sanglote avant la fin, hé bien, mon pauvre ami, fais comme moi sans honte ; c’est simplement que tu auras compris. Suis-moi donc : nous avons pour guides les Livres sacrés et le Saint Linceul, dont l’étude scientifique m’a démontré l’authenticité. La Passion, au vrai, commence à la Nativité, puisque Jésus dans Son omniscience divine, a toujours su, vu et voulu les souffrances qui attendaient Son humanité. Le premier sang versé pour nous le fut à la Circoncision, huit jours après Noël. On peut déjà imaginer ce que doit être pour un homme la prévision exacte de son martyre.
En fait, c’est à Gethsémani que va commencer l’holocauste. Jésus, ayant fait manger aux Siens Sa chair et boire Son sang, les entraîne à la nuit dans ce clos d’oliviers, dont ils ont l’habitude. Il les laisse camper près de l’entrée, emmène un peu plus loin Ses trois intimes et s’en écarte à un jet de pierre, pour se préparer en priant. Il sait que son heure est venue. Lui-même a envoyé le traître de Karioth : quod facis, fac citius. Il a hâte d’en finir et Il le veut. Mais comme Il a revêtu, en s’incarnant, cette forme d’esclave qu’est notre humanité, celle-ci se révolte et c’est toute la tragédie d’une lutte entre Sa Volonté et la nature. « Coepit pavere et taedere ».
Cette coupe qu’il lui faut boire, elle contient deux amertumes : Tout d’abord les péchés des hommes, qu’Il doit assumer, Lui le Juste, pour racheter Ses frères et c’est sans doute le plus dur ; une épreuve que nous ne pouvons pas imaginer, parce que les plus saints d’entre nous sont ceux qui le plus vivement sentent leur indignité et leur infamie. Peut-être comprenons nous mieux la prévision, la pré dégustation des tortures physiques, qu’Il subit déjà en pensée ; pourtant nous n’avons expérimenté que le frisson rétrospectif des souffrances passées. C’est quelque chose d’indicible. « Pater, si vis, transfer calicem istum a me ; verumtamen non mea voluntas sed tua fiat ». C’est bien Son Humanité qui parle… et qui se soumet, car Sa Divinité sait ce qu’Elle veut de toute éternité ; l’Homme est dans une impasse. Ses trois fidèles sont endormis, « prae tristitia», dit saint Luc. Pauvres hommes !
La lutte est épouvantable; un ange vient Le réconforter, mais en même temps, semble-t-il, recevoir son acceptation. « Et factus in agonia, prolixius orabat. Et factus est sudor ejus sicut guttae sanguinis decurrentis in terram ». C’est la sueur de sang, que certains exégètes rationalistes, subodorant quelque miracle, ont traitée de symbolique. Il est curieux de constater que de bêtises ces matérialistes modernes peuvent dire en matière scientifique. Remarquons que le seul évangéliste qui rapporte le fait est un médecin. Et notre vénéré confrère Luc, medicus carissimus, le fait avec la précision, la concision d’un bon clinicien. L’hémathidrose est un phénomène très rare mais bien décrit. Elle se produit, comme l’écrit le Docteur Bec, « dans des conditions tout à fait spéciales : une grande débilité physique, accompagnée d’un ébranlement moral, suite d’une émotion profonde, d’une grande peur »( 3) (et cœpitpavere et taedere).
La frayeur, l’épouvante sont ici au maximum et l’ébranlement moral. C’est ce que Luc exprime par « agonia », qui en grec, signifie lutte et anxiété. « Et Sa sueur devint comme des gouttes de sang roulant jusque par terre. » A quoi bon expliquer le phénomène ? Une vasodilatation intense des capillaires sous-cutanés, qui se rompent au contact des culs de sacs de millions de glandes sudoripares. Le sang se mêle à la sueur ; et c’est ce mélange qui perle et se rassemble et coule sur tout le corps, en quantité suffisante pour tomber sur le sol. Notez que cette hémorragie microscopique se produit dans toute la peau, qui est déjà ainsi lésée dans son ensemble, en quelque sorte endolorie, attendrie, pour tous les coups futurs. Mais passons.
Voici Judas et les valets du temple, armés de glaives et de bâtons ; ils ont des lanternes et des cordes. Comme le procès criminel doit être jugé par le procurateur, ils ont obtenu un peloton de la cohorte romaine ; le tribun de l’Antonia les accompagne, afin d’assurer l’ordre. Le tour des Romains n’est pas encore venu ; ils sont là derrière ces fanatiques, distants et méprisants. Jésus se met en avant; un mot de Lui suffit à renverser Ses agresseurs, dernière manifestation de Son pouvoir, avant qu’Il s’abandonne à la Volonté divine. Le brave Pierre en a profité pour amputer l’oreille de Malchus et, miracle dernier, Jésus l’a ressoudée. Mais la bande hurlante s’est ressaisie, a garrotté le Christ; elle L’emmène, sans aménité, on peut le croire, laissant filer les comparses.
C’est l’abandon, tout au moins apparent. Jésus sait bien que Pierre et Jean Le suivent «a longe » et que Marc n’échappera à l’arrestation qu’en s’enfuyant tout nu, laissant aux gardes le drap qui l’enveloppait. Mais les voici devant Caïphe et le sanhédrin. Nous sommes en pleine nuit, il ne peut s’agir que d’une instruction préalable. Jésus refuse de répondre : Sa doctrine, Il l’a prêchée ouvertement. Caïphe est désorienté, furieux et l’un de ses gardes, traduisant ce dépit, lance un grand coup dans la figure du prévenu : « sic respondes pontifici ! » Ceci n’est rien ; Il faut attendre le matin, pour une audition de témoins. Jésus est entraîné hors de la salle ; dans la cour, Il voit Pierre qui L’a renié par trois fois et, d’un regard, Il lui pardonne.
On Le traîne dans quelque salle basse et la canaille des valets va s’en donner à cœur joie contre ce faux prophète (dûment garrotté) qui tout à l’heure encore les a jetés à terre par on ne sait quelle sorcellerie. On l’accable de gifles et de coups de poing, on Lui crache au visage, et, puisque aussi bien il n’y a pas moyen de dormir on va s’amuser un peu. Un voile sur Sa tête, et chacun y va de son coup; les soufflets retentissent et ces brutes ont la main lourde: « Prophétise; dis-nous, Christ, qui t’a frappé ». Son corps est déjà tout endolori, Sa tête sonne comme une cloche, des vertiges Le prennent… et Ilse tait. D’un mot, Il pourrait les anéantir « et non aperuit os suum ». Cette racaille finit par se lasser et Jésus attend.
Au petit jour, deuxième audience, défilé lamentable de faux témoins qui ne prouvent rien. Il faut qu’Il se condamne Lui-même, en affirmant Sa filiation divine et ce bas histrion de Caïphe proclame le blasphème en déchirant ses vêtements. Oh, rassurez-vous ; ces bons Juifs prudents et peu portés à la dépense ont une fente toute préparée et légèrement recousue, qui peut servir un grand nombre de fois. Il n’y a plus qu’à obtenir de Rome la condamnation à mort qu’elle s’est réservée dans ce pays de protectorat. Jésus, déjà harassé de fatigue et tout moulu de coups, va être traîné à l’autre bout de Jérusalem, dans la ville haute, à la tour Antonia, sorte de citadelle, d’où la majesté romaine assure l’ordre dans la cité trop effervescente à son gré.
La gloire de Rome est représentée par un malheureux fonctionnaire, petit romain de la classe des chevaliers, parvenu trop heureux d’exercer ce commandement difficile sur un peuple fanatique, hostile et hypocrite, très soucieux de garder sa place, coincé entre les ordres impératifs de la métropole et les menées sournoises de ces Juifs souvent très bien en cour auprès des Empereurs. En résumé, c’est un pauvre homme. Il n’a qu’une religion, s’il en a une, celle de Divus Caesar. C’est le produit médiocre de la civilisation barbare, de la culture matérialiste. Mais comment trop lui en vouloir ? Il est ce qu’on l’a fait ; la vie d’un homme a pour lui peu de prix, surtout si ce n’est pas un citoyen romain. La pitié ne lui a pas été enseignée et il ne connaît qu’un devoir : maintenir l’ordre. (Ils se figurent à Rome que c’est commode !) Tous ces Juifs querelleurs, menteurs et superstitieux avec tous leurs tabous et leur manie de se laver pour rien, leur servilité et leur insolence et ces lâches dénonciations au Ministère contre un Administrateur colonial qui agit de son mieux, tout cela le dégoûte. Il les méprise… et il les craint.
Jésus, tout au contraire (dans quel état pourtant paraît-Il devant lui, couvert d’ecchymoses et de crachats), Jésus lui en impose et lui est sympathique. Il va faire tout ce qu’il peut pour Le tirer des griffes de ces énergumènes « et quaerebat dimittere illum» : Jésus est Galiléen ; passons-Le à cette vieille canaille d’Hérode, qui joue les roitelets nègres et se prend pour quelqu’un. – Mais Jésus méprise ce renard et ne lui répond mot. – Le voici revenu, avec la tourbe qui hurle et ces insupportables pharisiens qui piaillent sur un ton suraigu en agitant leurs barbiches. Odieux ces palabres! Qu’ils restent dehors, puisque aussi bien ils se croiraient souillés, rien qu’à entrer dans un prétoire romain.
Pontius interroge ce pauvre homme, qui l’intéresse. Et Jésus ne le méprise pas. Il a pitié de son ignorance invincible ; Il lui répond avec douceur et tente même de l’instruire. – Ah, s’il n’y avait que cette canaille qui hurle dehors, une bonne sortie de la cohorte ferait vite « cum gladio » taire les plus braillards et s’égailler les autres. Il n’y a pas si longtemps que j’ai fait massacrer dans le temple quelques Galiléens un peu trop excités. Oui, mais ces sanhédrites sournois commencent à insinuer que je ne suis pas l’ami de César, et avec ça il n’y a pas à plaisanter ? Et puis, mehercle; que signifient toutes ces histoires de Roi des Juifs, de Fils de Dieu et de Messie ? Si Pilate avait lu les Ecritures, peut-être serait-il un autre Nicodème, car Nicodème aussi est un lâche ; mais c’est la lâcheté qui va rompre les digues. Cet homme est bien un Juste : je le fais flageller (oh, logique romaine!) peut-être que ces brutes auront quelque pitié. Mais moi aussi je suis un lâche ; car si je m’attarde à plaider pour ce Quirite lamentable, ce n’est que pour retarder ma douleur. «Tunc ergo apprehendit Pilatus Jesum et flagellavit ».
Les soldats de garde emmènent Jésus dans l’atrium du prétoire et appellent à la rescousse toute la cohorte ; les distractions sont rares dans ce pays d’occupation. Pourtant le Seigneur a souvent manifesté une spéciale sympathie pour les militaires. Comme Il a admiré la confiance et l’humilité de ce centurion et son affectueuse sollicitude pour son serviteur qu’Il a guéri ! (Rien ne m’ôtera la conviction que c’était l’ordonnance de ce lieutenant d’infanterie coloniale.) Et tout à l’heure, ce sera le centurion de garde au Calvaire qui, le premier, proclamera Sa divinité. La cohorte semble prise d’un délire collectif, que Pilate n’a pas prévu. Satan est là, qui leur souffle la haine. Mais il suffit. Plus de discours, rien que des coups et tâchons d’aller jusqu’au bout.
Ils Le déshabillent et L’attachent tout nu à une colonne de l’atrium. Les bras sont tirés en l’air et les poignets liés en haut du fût. La flagellation se fait avec des lanières multiples, sur lesquelles sont fixées, à quelque distance de l’extrémité libre, deux balles de plomb ou des osselets. (C’est du moins à ce genre de flagrum que répondent les stigmates du Saint Linceul). Le nombre de coups est fixe à 39 par la loi hébraïque. Mais les bourreaux sont des légionnaires déchaînés; ils iront jusqu’aux limites de la syncope. En fait, les traces du Linceul sont innombrables et presque toutes sur la face postérieure; le devant du corps est contre la colonne. On les voit sur les épaules, sur le dos, les reins. Les coups de fouet descendent sur les cuisses, sur les mollets ; et là, l’extrémité des lanières, au delà des balles de plomb encercle le membre et vient marquer son sillon jusque sur la face antérieure. Les bourreaux sont deux, un de chaque côté, de taille inégale (tout ceci se déduit de l’orientation des traces du Linceul). Ils frappent à coups redoublés, avec un grand ahan.
Aux premiers coups, les lanières laissent de longues traces livides, de longs bleus d’ecchymose sous-cutanées. Rappelez-vous que la peau a été déjà modifiée, endolorie par les millions de petites hémorragies intradermiques de la sueur de sang. Les balles de plomb marquent davantage. Puis, la peau, infiltrée de sang, attendrie, se fend sous de nouveaux coups. Le sang jaillit ; des lambeaux se détachent et pendent. Toute la face postérieure n’est plus qu’une surface rouge, sur laquelle se détachent de grands sillons marbrés ; et, çà et là, partout, les plaies plus profondes dues aux balles de plomb. Ce sont ces plaies en forme d’haltère (les deux balles et la lanière entre les deux) qui s’imprimeront sur le Linceul.
A chaque coup, le corps tressaille d'un soubresaut douloureux. Mais Il n'a pas ouvert la bouche et ce mutisme redouble la rage satanique de Ses bourreaux. Ce n'est plus la froide exécution d'un ordre judiciaire; c'est un déchaînement de démons. Le sang ruisselle des épaules jusqu'à terre (les larges dalles en sont couvertes) et s'éparpille en pluie, des fouets relevés, jusque sur les rouges chlamydes des spectateurs.Mais bientôt les forces du supplicié défaillent ; une sueur froide inonde Son front ; la tête Lui tourne d’un vertige nauséeux ; des frissons Lui courent le long de l’échine, Ses jambes se dérobent sous Lui et, s’Il n’était lié très haut par les poignets, Il s’écroulerait dans la mare de sang. – Son compte est bon, bien qu’on n’ait pas compté.
Après tout on n’a pas reçu l’ordre de le tuer sous le fouet. Laissons-le se remettre ; on peut encore s’amuser. Ah ce grand nigaud prétend qu’il est roi, comme s’il en était sous les aigles romaines, et roi des Juifs encore, comble de ridicule ! Il a des ennuis avec ses sujets ; qu’à cela ne tienne, nous serons ses fidèles. Vite un manteau, un sceptre. On l’a assis sur une base de colonne (pas très solide la Majesté !) Une vieille chlamyde de légionnaire sur les épaules nues lui confère la pourpre royale ; un gros roseau dans sa main droite et ce serait tout à fait ça, s’il n’y manquait une couronne ; quelque chose d’original ! (Dans dix-neuf siècles, elle Le fera reconnaître, cette couronne, qu’aucun crucifié n’a portée). Dans un coin, un fagot de bourrées, de ces arbrisseaux qui foisonnent dans les buissons de la banlieue. C’est souple et ça porte de longues épines, beaucoup plus longues, plus aiguës et plus dures que l’acacia. On en tresse avec précaution, aïe, ça pique, une espèce de fond de panier, qu’on Lui applique sur le crâne. On en rabat les bords et avec un bandeau de joncs tordus, on enserre la tête entre la nuque et le front. Les épines pénètrent dans le cuir chevelu et cela saigne. (Nous savons, nous chirurgiens, combien cela saigne, un cuir chevelu.) Déjà le crâne est tout englué de caillots ; de longs ruisseaux de sang ont coulé sur le front, sous le bandeau de jonc, ont inondé les longs cheveux tout emmêlés et ont rempli la barbe.
La comédie d’adoration a commencé. Chacun tour, de rôle vient fléchir le genou devant Lui, avec une affreuse grimace, suivie d’un grand soufflet : « Salut, roi des juifs! » Mais Lui ne répond rien. Sa pauvre figure ravagée et pâlie n’a pas un mouvement. Ce n’est vraiment pas drôle! Exaspérés, les fidèles sujets Lui crachent au visage. « Tu ne sais pas tenir ton sceptre, donne. » Et pan, un grand coup sur le chapeau d’épines, qui s’enfonce un peu plus ; et horions de pleuvoir. Je ne me rappelle plus; serait-ce un de ces légionnaires, ou bien l’a-t-il reçu des gens du sanhédrin ? Mais je vois à présent qu’un grand coup de bâton donné obliquement a laissé sur la joue une horrible plaie contuse, et que Son grand nez sémitique, si noble, est déformé par une fracture de l’arête cartilagineuse. Le sang coule de ses narines dans ses moustaches. Assez, mon Dieu !
Mais voici que revient Pilate, un peu inquiet du prisonnier : qu'en auront fait ces brutes? Aïe, ils l'ont bien arrangé. Si les Juifs ne sont pas contents ! Il va Le leur montrer au balcon du prétoire, dans Sa tenue royale, tout étonné lui-même de ressentir quelque pitié, pour cette loque humaine. Mais il a compté sans la haine : « Tolle, crucifige ! » Ah les démons ! Et l'argument terrible pour lui : « Il s'est fait roi ; si tu l'absous, tu n'es pas l'ami de César. » Alors, le lâche s'abandonne et se lave les mains. Mais, comme l'écrira saint Augustin, ce n'est pas toi, Pilate, qui L'as tué, mais bien les Juifs, avec leurs langues acérées ; et en comparaison d'eux, tu es toi-même beaucoup plus innocent.On lui arrache la chlamyde, qui a déjà collé à toutes ses blessures. Le sangs recoule; Il a un grand frisson. On lui remet Ses vêtements qui se teintent de rouge. La croix est prête, on la Lui charge sur les épaules. Par quel miracle d’énergie peut-Il rester debout sous ce fardeau? Ce n’est en réalité, pas toute la croix, mais seulement la grosse poutre horizontale, le patibulum, qu’Il doit porter jusqu’au Golgotha, mais cela pèse encore près de 50 kilos. Le pieu vertical, le stipe, est déjà planté au Calvaire.
Et la marche commence, pieds nus dans des rues au sol raboteux semé de cailloux. Les soldats tirent sur les cordes qui Le lient, soucieux de savoir s’Il ira jusqu’au bout. Deux larrons Le suivent en même équipage. La route heureusement n’est pas très longue, environ 600 mètres et la colline du Calvaire est presqu’en dehors de la porte d’Ephraïm. Mais le trajet est très accidenté, même à l’intérieur des remparts. Jésus, péniblement, met un pied devant l’autre, et souvent Il s’effondre. Il tombe sur les genoux qui ne sont bientôt qu’une plaie. Les soldats d’escorte Le relèvent, sans trop Le brutaliser, ils sentent qu’Il pourrait très bien mourir en route. Et toujours cette poutre, en équilibre sur l’épaule, qui la meurtrit de ses aspérités et qui semble vouloir y pénétrer de force. Je sais ce que c’est : j’ai coltiné jadis, au 5e Génie, des traverses de chemin de fer, bien rabotées, et je connais cette sensation de pénétration dans une épaule ferme et saine. Mais Lui, Son épaule est couverte de plaies, qui se rouvrent et s’élargissent et se creusent à chaque pas. Il est épuisé. Sur Sa tunique sans couture une tache énorme de sang va toujours en s’élargissant et s’étend jusque sur le dos. Il tombe encore et cette fois de tout son long ; la poutre Lui échappe ; va-t-Il pouvoir Se relever ? Heureusement vient à passer un homme, retour des champs, ce Simon de Cyrène, qui tout comme ses fils Alexandre et Rufus, sera bientôt un bon chrétien. Les soldats le réquisitionnent pour porter cette poutre ; il ne demande pas mieux le brave homme ; oh, comme je le ferais bien ! Il n’y a plus finalement que la pente du Golgotha à gravir et, péniblement, on arrive au sommet. Jésus s’affaisse sur le sol et la crucifixion commence.
Oh, ce n’est pas très compliqué les bourreaux savent leur métier. Il faut d’abord Le mettre à nu. Les vêtements de dessus c’est encore facile. Mais la tunique, intimement, est collée à Ses plaies, pour ainsi dire à tout son corps et ce dépouillement est tout simplement atroce. Avez-vous jamais enlevé un premier pansement mis sur une large plaie contuse et desséché sur elle ? Ou avez-vous subi vous-même cette épreuve qui nécessite parfois l’anesthésie générale ? Si oui, vous pouvez savoir un peu de quoi il s’agit. Chaque fil de laine est collé à la surface dénudée, et, quand on le soulève, il arrache une des innombrables terminaisons nerveuses mises à nu dans la plaie. Ces milliers de chocs douloureux s’additionnent et se multiplient, chacun augmentant pour la suite la sensibilité du système nerveux. Or, il ne s’agit pas ici d’une lésion locale, mais de presque toute la surface du corps, et surtout de ce dos lamentable. Les bourreaux pressés y vont rudement. Peut-être cela vaut-il mieux, mais comment cette douleur aiguë, atroce, n’entraîne-t-elle pas la syncope ? Comme il est évident que, d’un bout à l’autre, Il domine, Il dirige Sa Passion. Le sang ruisselle à nouveau.
On L’étend sur le dos. Lui a-ton laissé l’étroite ceinture que la pudeur des juifs conserve aux suppliciés ? J’avoue que je ne sais plus : cela a si peu d’importance ; dans tous les cas, en Son Linceul, Il sera nu. Les plaies de son dos, des cuisses et des mollets s’incrustent de poussière et de menus graviers. On l’a mis au pied du stipe, les épaules couchées sur le patibulum. Les bourreaux prennent les mesures. Un coup de tarière, pour amorcer les trous des clous, et l’horrible chose commence. Un aide allonge l’un des bras, la paume en haut. Le bourreau prend son clou (un long clou pointu et carré, qui, près de sa grosse tête, est large de huit millimètres), il le pique sur le poignet, dans ce pli antérieur, qu’il connaît d’expérience. Un seul coup de son gros marteau : le clou est déjà fiché dans le bois, où quelques panpans énergiques le fixent solidement.
Jésus n’a pas crié, mais Son visage horriblement s’est contracté. Mais, surtout, j’ai vu au même instant Son pouce, d’un mouvement violent, impérieux, se mettre en opposition dans la paume : Son nerf médian a été touché. Mais, alors, je ressens ce qu’Il a éprouvé : une douleur indicible, fulgurante, qui s’est éparpillée dans Ses doigts, a jailli, comme un trait de feu, jusqu’à Son épaule et éclaté dans Son cerveau. C’est la douleur la plus insupportable qu’un homme puisse éprouver, celle que donne la blessure des gros troncs nerveux. Presque toujours elle entraîne la syncope et c’est heureux. Jésus n’a pas voulu perdre Sa connaissance. Encore, si le nerf était entièrement coupé. Mais non, j’en ai l’expérience, il n’est que partiellement détruit ; la plaie du tronc nerveux reste en contact avec ce clou, et sur lui, tout à l’heure, quand le corps sera suspendu, il sera fortement tendu comme une corde à violon sur son chevalet. Et il vibrera à chaque secousse, à chaque mouvement, réveillant la douleur horrible. Il en a pour trois heures.
L’autre bras est tiré par l’aide ; les mêmes gestes se répètent, et les mêmes douleurs. Mais cette fois, songez-y bien, Il sait ce qui l’attend. Il est maintenant fixé sur le patibulum, qu’Il suit étroitement des deux épaules et des deux bras. Il a déjà forme de croix comme Il est grand! Allons, debout! Le bourreau et son aide empoignent les bouts de la poutre et redressent le condamné, assis d’abord et puis debout et puis, Le reculant, L’adossent au poteau. Mais c’est, hélas, en tiraillant sur Ses deux mains clouées (Oh, Ses médians!) D’un grand effort, à bout de bras, mais le stipes n’est pas très haut, rapidement, car c’est bien lourd, ils accrochent d’un geste adroit le patibulum en haut du stipes. A son sommet, deux clous fixent le titulus trilingue. Le corps tirant sur les bras, qui s’allongent obliques, s’est un peu affaissé. Les épaules blessées par les fouets et par le portement de croix ont raclé douloureusement le rude bois. La nuque, qui dominait le patibulum, l’a heurté en passant, pour s’arrêter en haut du pieu. Les pointes acérées du grand chapeau d’épines ont déchiré le crâne encore plus profond.
Sa pauvre tête penche en avant, car l’épaisseur de Sa couronne l’empêche de reposer sur le bois; et chaque fois qu’Il la redresse, Il en réveille les piqûres. Le corps, pendant, n’est soutenu que par les clous plantés dans les deux carpes (oh, les médians!). Il pourrait tenir sans rien d’autre. Le corps ne se déplace pas en avant. Mais la règle est de fixer les pieds. Pour ce, pas besoin de console ; on fléchit les genoux, et l’on étend les pieds à plat sur le bois du stipes. Pourquoi, puisque c’est inutile, donner à faire au charpentier ? Ce n’est certes pas pour soulager la peine du crucifié. Le pied gauche à plat sur la croix. D’un seul coup (le marteau, le clou s’enfonce en son milieu (entre les deuxième et troisième métatarsiens). L’aide fléchit aussi l’autre genou et le bourreau ramenant le pied gauche devant le droit que l’aide tient à plat, d’un second coup, au même endroit, il perfore ce pied. Tout cela est facile, et puis à grands ahans, le clou est poussé dans le bois. Ici, merci mon Dieu, rien qu’une douleur bien banale, mais le supplice a à peine commencé. A deux hommes, tout le travail n’a guère duré plus de deux minutes et les plaies ont fort peu saigné.
On s’affaire alors auprès des deux larrons ; pour ceux-là des cordes suffisent, et les trois gibets sont garnis face à la ville déicide. N’écoutons pas tous ces Juifs triomphants, qui insultent à Sa douleur. Il leur a déjà pardonné, car ils ne savent ce qu’ils font.
Jésus, d’abord, s’est affaissé. Après tant de tortures, pour un corps épuisé, cette immobilité semble presque un repos, coïncidant avec une baisse de Son tonus vital. Mais Il a soif. Oh, il ne l’a pas encore dit ; avant de se coucher sur la poutre, Il a refusé la potion analgésique, vin mêlé de myrrhe et de fiel, que préparent les charitables femmes de Jérusalem. Sa souffrance Il la veut entière ; Il sait qu’Il la dominera. Il a soif.
Oui, «Adhaesit linguamea faucibus meis ». Il n’a rien bu ni rien mangé depuis hier au soir. Il est midi. Sa sueur de Gethsémani, toutes Ses fatigues, la grosse hémorragie du prétoire et les autres et même ce peu qui coule de ses plaies, tout cela Lui a soustrait une bonne partie de Sa masse sanguine. Il a soif. Ses traits sont tirés, Sa figure hâve est sillonnée de sang qui se coagule partout. Sa bouche est entr’ouverte et Sa lèvre inférieure déjà commence à pendre ? Un peu de salive coule dans Sa barbe, mêlée au sang issu de Son nez écrasé. Sa gorge est sèche et embrasée, mais Il ne peut plus déglutir. Il a soif. Dans cette face tuméfiée, toute sanglante et déformée, comment pourrait-on reconnaître le plus beau des enfants des hommes ? « Vermis sum et non homo ». Elle serait affreuse, si l’on n’y voyait pas malgré tout resplendir la majesté sereine du Dieu qui veut sauver Ses frères. Il a soif. Et tout à l’heure Il le dira, pour accomplir les Ecritures. Et un grand benêt de soldat, voilant sa compassion sous une raillerie, imbibant une éponge de sa posca acidulée, acetum, disent les Evangiles, la Lui tendra au bout d’un roseau. En boira-t-il seulement une goutte ? On a dit que le fait de boire détermine chez ces pauvres suppliciés une syncope mortelle.
Comment, après avoir reçu l’éponge, pourra-t-il donc parler encore deux ou trois fois ? Non, non, Il mourra à Son heure. Il a soif. Et cela vient de commencer. Mais, au bout d’un moment, un phénomène étrange se produit. Les muscles de Ses bras se raidissent d’eux-mêmes, en une contracture, qui va s’accentuant ; Ses deltoïdes, Ses biceps sont tendus et saillants, Ses doigts s’incurvent en crochets. Des Crampes ! Vous avez tous, peu ou prou, senti cette douleur progressive et aiguë, dans un mollet, entre deux côtes, un peu partout. Il faut, toute affaire cessante, détendre en l’allongeant ce muscle contracté. Mais regardons ! Voici maintenant aux cuisses et aux jambes les mêmes saillies monstrueuses, rigides, et les orteils qui se recourbent. On dirait un blessé atteint de tétanos, en proie à ces horribles crises, que l’on ne peut pas oublier. C’est ce que nous appelons la tétanie, quand les crampes se généralisent ; et voici que c’est fait. Les muscles du ventre se raidissent en vagues figées ; puis les intercostaux, puis les muscles du cou et les muscles respiratoires. Son souffle peu à peu est devenu plus court, superficiel. Ses côtes, déjà soulevées par la traction des bras, se sont encore surélevées ; l’épigastre se creuse et aussi les salières au-dessus des clavicules.
L’air entre en sifflant mais ne sort presque plus. Il respire tout en haut, inspire un peu, ne peut plus expirer. Il a soif d’air. (C’est comme un emphysémateux en pleine crise d’asthme.) Sa figure pâle a peu à peu rougi ; elle a passé au violet pourpre et puis au bleu. Il asphyxie. Ses poumons gorgés d’air ne peuvent plus se vider. Son front est couvert de sueur, Ses yeux exorbités chavirent. Quelle atroce douleur doit marteler son crâne ! Il va mourir. Hé bien, tant mieux. N’a-t-il donc pas assez souffert ? Mais non, son heure n’est pas venue. Ni la soif ni l’hémorragie, ni l’asphyxie, ni la douleur n’auront raison du Dieu Sauveur et s’Il meurt avec ces symptômes, Il ne mourra vraiment que parce qu’Il le veut bien, « habens in potestate ponere animam suam et recipere eam ».
Et c’est ainsi qu’Il ressuscitera. Alléluia ! Que se passe-t-il donc ? Lentement, d’un effort surhumain, Il a pris point d’appui sur le clou de Ses pieds, oui, sur Ses plaies. Les cous-de-pied et les genoux s’étendent peu à peu et le corps, par à coups remonte, soulageant la traction des bras (cette traction qui était de plus de 90 kilos sur chaque main.) Alors, voici que de lui-même, le phénomène diminue, la tétanie régresse, les muscles se détendent, tout au moins ceux de la poitrine. La respiration devient plus ample et redescend, les poumons se dégorgent et bientôt la figure a repris sa pâleur d’avant. Pourquoi tout cet effort ? C’est qu’Il veut nous parler « Pater dimitte illis ». Oh oui, qu’Il nous pardonne, à nous qui sommes ses bourreaux. Mais au bout d’un instant, Son corps commence à redescendre… et la tétanie va reprendre. Et chaque fois qu’Il parlera (nous avons retenu au moins sept de ses phrases) et chaque fois qu’Il voudra respirer, il Lui faudra se redresser, pour retrouver Son souffle, en se tenant debout sur le clou de Ses pieds. Et chaque mouvement retentit dans Ses mains, en douleurs indicibles (oh, Ses médians!) C’est l’asphyxie périodique du malheureux qu’on étrangle et qu’on laisse reprendre vie, pour l’étouffer en plusieurs fois. A cette asphyxie Il ne petit échapper, pour un moment, qu’au prix de souffrances atroces et par un acte volontaire. Et cela va durer trois heures. Mais mourez donc, mon Dieu ! Je suis là au pied de la croix, avec Sa Mère et Jean et les femmes qui Le servaient. Le centurion, un peu à part, observe avec une attention déjà respectueuse. Entre deux asphyxies, Il se dresse et Il parle : « Fils, voici votre Mère ». Oh oui, chère Maman, qui depuis ce jour-là nous avez adoptés! ? Un peu plus tard ce pauvre bougre de larron s’est fait ouvrir le paradis.
Mais, quand donc mourrez-vous, Seigneur ! Je sais bien, Pâques vous attend et votre corps ne pourrira pas, comme les nôtres. Il est écrit: « Non dabis sanctum luum videre corruptionem ». Mais, mon pauvre Jésus (excusez le chirurgien), toutes vos plaies sont infectées ; elles le seraient d’ailleurs à moins. Je vois distinctement sur elles suinter une lymphe blonde, et transparente, qui se collecte au point déclive en une croutelle cireuse. Sur les plus anciennes déjà des fausses membranes se forment, qui sécrètent un seropus. Il est écrit aussi : « Putruerunt et corruptae sunt cicatrices meae ».
Un essaim de mouches affreuses, de grosses mouches vert et bleu, comme on en voit aux abattoirs et aux charniers, tourbillonne autour de Son corps ; et brusquement elles s’abattent sur l’une ou l’autre plaie, pour en pomper le sue et y pondre leurs œufs. Elles s’acharnent au visage ; impossible de les chasser. Par bonheur, depuis un moment le ciel s’est obscurci, le soleil s’est caché ; il fait soudain très froid. Et ces filles de Béelzéboul ont peu à peu quitté la place. Bientôt trois heures.
Enfin! Jésus lutte toujours. De temps en temps, Il se redresse. Toutes Ses douleurs, Sa soif, Ses crampes, l’asphyxie et les vibrations de Ses deux nerfs médians ne Lui ont pas arraché une plainte. Mais, si Ses amis sont bien là, Son Père, et c’est l’ultime épreuve, Son Père semble l’avoir abandonné. « Eli, Eli, lammasabachtani ? » Il sait maintenant qu’Il s’en va. Il crie « Consumatum est ». La coupe est vide, la tâche est faite. Puis, de nouveau se redressant et comme pour nous faire entendre qu’Il meurt de par Sa volonté « iterum clamans voce magna » : Mon Père, dit-Il, je remets mon âme entre Vos mains (habens in potestate ponere animam suam). Il est mort quand Il l’a voulu. Et qu’on ne me parle plus de théories physiologiques! « Laudato si Missignore per sora nostra morte corporale ! » Oh oui, Seigneur, soyez loué, pour avoir bien voulu mourir. Car nous n’en pouvions plus. Maintenant tout est bien. Dans un dernier soupir, Votre Tête vers moi, lentement, s’est penchée, droit devant Vous, Votre menton sur le sternum. Je vois à présent bien en face Votre visage détendu, rasséréné, que malgré tant d’affreux stigmates illumine la majesté très douce de Dieu qui est toujours là.
Je me suis affalé à genoux devant Vous, baisant Vos pieds troués, où le sang coule encore, en se coagulant vers les pointes. La rigidité cadavérique Vous a saisi brutalement, comme le cerf forcé à la course. Vos jambes sont dures comme l’acier… et brûlantes. Quelle température inouïe Vous a donné cette tétanie? La terre a tremblé; que m’importe ? et le soleil s’est éclipsé. Joseph est allé réclamer Votre corps à Pilate, qui ne le refusera pas. Il hait ces Juifs, qui l’ont forcé à Vous tuer ; cet écriteau sur Votre Tête proclame bien haut sa rancune « Jésus, roi des Juifs », et crucifié comme un esclave ! Le centurion est allé faire son rapport, après Vous avoir, le brave homme, proclamé le vrai Fils de Dieu. Nous allons Vous descendre et ce sera facile, une fois les pieds décloués. Joseph et Nicodème décrocheront la poutre du stipes. Jean Votre bien aimé Vous portera les pieds; à deux autres, avec un drap tordu en corde nous soutiendrons Vos reins. Le linceul est prêt, sur la pierre ici tout près, face au sépulcre ; et là, tout à loisir, on déclouera Vos mains. Mais qui vient là? Ah oui, les Juifs ont dû demander à Pilate qu’on débarrasse la colline de ces gibets qui offensent la vue et souilleraient la fête de demain. Race de vipères qui filtrez le moucheron et déglutissez le chameau ! Des soldats brisent à grands coups de barre de fer les cuisses des larrons. Ils pendent maintenant lamentablement et, comme ils ne peuvent plus se soulever sur les cordes des jambes, la tétanie et l’asphyxie les auront bientôt achevés. Mais rien à faire ici pour vous! « Os non comminuetis ex eo».
Laissez-nous donc en paix ; ne voyez- vous pas qu’Il est mort? – Sans doute, disent-ils. Mais quelle idée a pris l’un d’eux ? D’un geste tragique et précis, il a levé la hampe de sa lance et, d’un seul coup oblique au côté droit, il l’enfonce profondément. Oh pourquoi ? « Et aussitôt, de la plaie est sorti du sang et de l’eau ». Jean l’a bien vu et moi aussi, et nous ne saurions mentir : un large flot de sang liquide et noir, qui a jailli sur le soldat et peu à peu coule en bavant sur la poitrine, en se coagulant par couches successives. Mais, en même temps, surtout visible sur les bords, a coulé un liquide clair et limpide comme de l’eau. Voyons, la plaie est au-dessous et en dehors du mamelon (5e espace), le coup oblique. C’est donc le sang de l’oreillette et l’eau sort de Son péricarde. Mais alors, mon pauvre Jésus, Votre cœur était tout, cette douleur angoissante et cruelle du cœur serré dans un étau. N’était-ce pas assez de ce que nous voyions? Est-ce pour que nous le sachions que cet homme a commis son agression bizarre ? Peut être aussi les Juifs auraient-ils prétendu que Vous n’étiez pas mort mais évanoui ; Votre résurrection demandait donc ce témoignage. Merci, soldat, merci, Longin; tu mourras un jour en martyr chrétien.
Et maintenant, lecteur, remercions Dieu, qui m’a donne la Force d’écrire cela jusqu’au bout ; non pas sans larmes ! Toutes ces douleurs effroyables, que nous avons vécues en Lui, Il les a toute sa vie prévues, préméditées, voulues, dans Son Amour pour racheter toutes nos fautes. « Oblatus est quia ipse voluit». Il a dirigé toute Sa Passion, sans éviter une torture ; en acceptant les conséquences physiologiques, mais sans être dominé par elles Il est mort quand et comme et parce qu’Il l’a voulu. Jésus est en agonie jusqu’à la fin des temps. Il est juste, il est bon de souffrir avec Lui et de Le remercier, quand Il nous envoie la douleur, de nous associer à la Sienne. Il nous faut achever, comme l’écrit Saint Paul, ce qui manque à la Passion du Christ, et, avec Marie, Sa Mère et notre Mère, accepter joyeusement, fraternellement notre Compassion. O Jésus, qui n’avez pas eu pitié de Vous-même, qui êtes Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur.
Docteur Pierre BARBET
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Marie-Anne-2
Publié par Jean-Baptiste Maillard le 19 mar 2008 dans Méditations |
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A quelques jours de la Crucifixion, nous vous livrons ici une superbe médiation du Docteur Pierre Barbet, Chirurgien de l’Hôpital Saint-Joseph de Paris. Pour mieux comprendre ce qu’Il a souffert pour nous sauver, et nous unir à Lui, dans la prière. On nous précise que ce texte date de 1940.
LA PASSION CORPORELLE DE JESUS
S’il est une légende ancrée dans les esprits, c’est celle de la dureté de cœur des chirurgiens : l’entraînement, n’est-ce pas, émousse les sensations et cette accoutumance, étayée par la nécessité d’un mal pour un bien, nous constitue dans un état de sereine insensibilité. Ceci est faux.
Si nous nous raidissons contre l’émotion, qui ne doit ni paraître, ni même extérieure, ni entraver l’acte chirurgical, comme le boxeur, d’instinct, contracte l’épigastre où il attend un coup de poing, la pitié en nous reste toujours vivante et s’affine même avec l’âge. Quand on s’est penché pendant des années sur la souffrance d’autrui, quand on y a goûté soi même on est certes plus près de la compassion que de l’indifférence, parce que l’on connaît mieux la douleur, parce qu’on en sait mieux les causes et les effets.
Aussi, lorsqu’un chirurgien a médité sur les souffrances de la Passion, quand il en a décomposé les temps et les circonstances physiologiques, quand il s’est appliqué à reconstituer méthodiquement toutes les étapes de ce martyre d’une nuit et d’un jour, il peut, mieux que le prédicateur le plus éloquent, mieux que le plus saint des ascètes (à part ceux qui en ont eu la directe vision, et ils en sont anéantis), compatir aux souffrances du Christ. Je vous assure que c’est abominable ; j’en suis venu pour ma part à ne plus oser y penser. C’est lâcheté sans aucun doute, mais j’estime qu’il faut avoir une vertu héroïque ou ne pas comprendre, qu’on doit être un saint ou un inconscient, pour faire un Chemin de Croix. Moi, je ne peux plus.
Et c’est pourtant ce Chemin de Croix qu’on me demande d’écrire; c’est ce que je ne peux pas refuser, parce que je suis sûr qu’il doit faire du bien. O bon et très doux Jésus, venez à mon aide. Vous qui les avez supportées, faites que je sache bien expliquer vos souffrances. Peut être, en m’efforçant de rester objectif, en opposant à l’émotion mon «insensibilité » chirurgicale, peut-être pourrai-je arriver au bout.
Lector amice, sub aliena potestate constitutus sum; si non possis portare modo, habe me excusatum. Si je sanglote avant la fin, hé bien, mon pauvre ami, fais comme moi sans honte ; c’est simplement que tu auras compris. Suis-moi donc : nous avons pour guides les Livres sacrés et le Saint Linceul, dont l’étude scientifique m’a démontré l’authenticité. La Passion, au vrai, commence à la Nativité, puisque Jésus dans Son omniscience divine, a toujours su, vu et voulu les souffrances qui attendaient Son humanité. Le premier sang versé pour nous le fut à la Circoncision, huit jours après Noël. On peut déjà imaginer ce que doit être pour un homme la prévision exacte de son martyre.
En fait, c’est à Gethsémani que va commencer l’holocauste. Jésus, ayant fait manger aux Siens Sa chair et boire Son sang, les entraîne à la nuit dans ce clos d’oliviers, dont ils ont l’habitude. Il les laisse camper près de l’entrée, emmène un peu plus loin Ses trois intimes et s’en écarte à un jet de pierre, pour se préparer en priant. Il sait que son heure est venue. Lui-même a envoyé le traître de Karioth : quod facis, fac citius. Il a hâte d’en finir et Il le veut. Mais comme Il a revêtu, en s’incarnant, cette forme d’esclave qu’est notre humanité, celle-ci se révolte et c’est toute la tragédie d’une lutte entre Sa Volonté et la nature. « Coepit pavere et taedere ».
Cette coupe qu’il lui faut boire, elle contient deux amertumes : Tout d’abord les péchés des hommes, qu’Il doit assumer, Lui le Juste, pour racheter Ses frères et c’est sans doute le plus dur ; une épreuve que nous ne pouvons pas imaginer, parce que les plus saints d’entre nous sont ceux qui le plus vivement sentent leur indignité et leur infamie. Peut-être comprenons nous mieux la prévision, la pré dégustation des tortures physiques, qu’Il subit déjà en pensée ; pourtant nous n’avons expérimenté que le frisson rétrospectif des souffrances passées. C’est quelque chose d’indicible. « Pater, si vis, transfer calicem istum a me ; verumtamen non mea voluntas sed tua fiat ». C’est bien Son Humanité qui parle… et qui se soumet, car Sa Divinité sait ce qu’Elle veut de toute éternité ; l’Homme est dans une impasse. Ses trois fidèles sont endormis, « prae tristitia», dit saint Luc. Pauvres hommes !
La lutte est épouvantable; un ange vient Le réconforter, mais en même temps, semble-t-il, recevoir son acceptation. « Et factus in agonia, prolixius orabat. Et factus est sudor ejus sicut guttae sanguinis decurrentis in terram ». C’est la sueur de sang, que certains exégètes rationalistes, subodorant quelque miracle, ont traitée de symbolique. Il est curieux de constater que de bêtises ces matérialistes modernes peuvent dire en matière scientifique. Remarquons que le seul évangéliste qui rapporte le fait est un médecin. Et notre vénéré confrère Luc, medicus carissimus, le fait avec la précision, la concision d’un bon clinicien. L’hémathidrose est un phénomène très rare mais bien décrit. Elle se produit, comme l’écrit le Docteur Bec, « dans des conditions tout à fait spéciales : une grande débilité physique, accompagnée d’un ébranlement moral, suite d’une émotion profonde, d’une grande peur »( 3) (et cœpitpavere et taedere).
La frayeur, l’épouvante sont ici au maximum et l’ébranlement moral. C’est ce que Luc exprime par « agonia », qui en grec, signifie lutte et anxiété. « Et Sa sueur devint comme des gouttes de sang roulant jusque par terre. » A quoi bon expliquer le phénomène ? Une vasodilatation intense des capillaires sous-cutanés, qui se rompent au contact des culs de sacs de millions de glandes sudoripares. Le sang se mêle à la sueur ; et c’est ce mélange qui perle et se rassemble et coule sur tout le corps, en quantité suffisante pour tomber sur le sol. Notez que cette hémorragie microscopique se produit dans toute la peau, qui est déjà ainsi lésée dans son ensemble, en quelque sorte endolorie, attendrie, pour tous les coups futurs. Mais passons.
Voici Judas et les valets du temple, armés de glaives et de bâtons ; ils ont des lanternes et des cordes. Comme le procès criminel doit être jugé par le procurateur, ils ont obtenu un peloton de la cohorte romaine ; le tribun de l’Antonia les accompagne, afin d’assurer l’ordre. Le tour des Romains n’est pas encore venu ; ils sont là derrière ces fanatiques, distants et méprisants. Jésus se met en avant; un mot de Lui suffit à renverser Ses agresseurs, dernière manifestation de Son pouvoir, avant qu’Il s’abandonne à la Volonté divine. Le brave Pierre en a profité pour amputer l’oreille de Malchus et, miracle dernier, Jésus l’a ressoudée. Mais la bande hurlante s’est ressaisie, a garrotté le Christ; elle L’emmène, sans aménité, on peut le croire, laissant filer les comparses.
C’est l’abandon, tout au moins apparent. Jésus sait bien que Pierre et Jean Le suivent «a longe » et que Marc n’échappera à l’arrestation qu’en s’enfuyant tout nu, laissant aux gardes le drap qui l’enveloppait. Mais les voici devant Caïphe et le sanhédrin. Nous sommes en pleine nuit, il ne peut s’agir que d’une instruction préalable. Jésus refuse de répondre : Sa doctrine, Il l’a prêchée ouvertement. Caïphe est désorienté, furieux et l’un de ses gardes, traduisant ce dépit, lance un grand coup dans la figure du prévenu : « sic respondes pontifici ! » Ceci n’est rien ; Il faut attendre le matin, pour une audition de témoins. Jésus est entraîné hors de la salle ; dans la cour, Il voit Pierre qui L’a renié par trois fois et, d’un regard, Il lui pardonne.
On Le traîne dans quelque salle basse et la canaille des valets va s’en donner à cœur joie contre ce faux prophète (dûment garrotté) qui tout à l’heure encore les a jetés à terre par on ne sait quelle sorcellerie. On l’accable de gifles et de coups de poing, on Lui crache au visage, et, puisque aussi bien il n’y a pas moyen de dormir on va s’amuser un peu. Un voile sur Sa tête, et chacun y va de son coup; les soufflets retentissent et ces brutes ont la main lourde: « Prophétise; dis-nous, Christ, qui t’a frappé ». Son corps est déjà tout endolori, Sa tête sonne comme une cloche, des vertiges Le prennent… et Ilse tait. D’un mot, Il pourrait les anéantir « et non aperuit os suum ». Cette racaille finit par se lasser et Jésus attend.
Au petit jour, deuxième audience, défilé lamentable de faux témoins qui ne prouvent rien. Il faut qu’Il se condamne Lui-même, en affirmant Sa filiation divine et ce bas histrion de Caïphe proclame le blasphème en déchirant ses vêtements. Oh, rassurez-vous ; ces bons Juifs prudents et peu portés à la dépense ont une fente toute préparée et légèrement recousue, qui peut servir un grand nombre de fois. Il n’y a plus qu’à obtenir de Rome la condamnation à mort qu’elle s’est réservée dans ce pays de protectorat. Jésus, déjà harassé de fatigue et tout moulu de coups, va être traîné à l’autre bout de Jérusalem, dans la ville haute, à la tour Antonia, sorte de citadelle, d’où la majesté romaine assure l’ordre dans la cité trop effervescente à son gré.
La gloire de Rome est représentée par un malheureux fonctionnaire, petit romain de la classe des chevaliers, parvenu trop heureux d’exercer ce commandement difficile sur un peuple fanatique, hostile et hypocrite, très soucieux de garder sa place, coincé entre les ordres impératifs de la métropole et les menées sournoises de ces Juifs souvent très bien en cour auprès des Empereurs. En résumé, c’est un pauvre homme. Il n’a qu’une religion, s’il en a une, celle de Divus Caesar. C’est le produit médiocre de la civilisation barbare, de la culture matérialiste. Mais comment trop lui en vouloir ? Il est ce qu’on l’a fait ; la vie d’un homme a pour lui peu de prix, surtout si ce n’est pas un citoyen romain. La pitié ne lui a pas été enseignée et il ne connaît qu’un devoir : maintenir l’ordre. (Ils se figurent à Rome que c’est commode !) Tous ces Juifs querelleurs, menteurs et superstitieux avec tous leurs tabous et leur manie de se laver pour rien, leur servilité et leur insolence et ces lâches dénonciations au Ministère contre un Administrateur colonial qui agit de son mieux, tout cela le dégoûte. Il les méprise… et il les craint.
Jésus, tout au contraire (dans quel état pourtant paraît-Il devant lui, couvert d’ecchymoses et de crachats), Jésus lui en impose et lui est sympathique. Il va faire tout ce qu’il peut pour Le tirer des griffes de ces énergumènes « et quaerebat dimittere illum» : Jésus est Galiléen ; passons-Le à cette vieille canaille d’Hérode, qui joue les roitelets nègres et se prend pour quelqu’un. – Mais Jésus méprise ce renard et ne lui répond mot. – Le voici revenu, avec la tourbe qui hurle et ces insupportables pharisiens qui piaillent sur un ton suraigu en agitant leurs barbiches. Odieux ces palabres! Qu’ils restent dehors, puisque aussi bien ils se croiraient souillés, rien qu’à entrer dans un prétoire romain.
Pontius interroge ce pauvre homme, qui l’intéresse. Et Jésus ne le méprise pas. Il a pitié de son ignorance invincible ; Il lui répond avec douceur et tente même de l’instruire. – Ah, s’il n’y avait que cette canaille qui hurle dehors, une bonne sortie de la cohorte ferait vite « cum gladio » taire les plus braillards et s’égailler les autres. Il n’y a pas si longtemps que j’ai fait massacrer dans le temple quelques Galiléens un peu trop excités. Oui, mais ces sanhédrites sournois commencent à insinuer que je ne suis pas l’ami de César, et avec ça il n’y a pas à plaisanter ? Et puis, mehercle; que signifient toutes ces histoires de Roi des Juifs, de Fils de Dieu et de Messie ? Si Pilate avait lu les Ecritures, peut-être serait-il un autre Nicodème, car Nicodème aussi est un lâche ; mais c’est la lâcheté qui va rompre les digues. Cet homme est bien un Juste : je le fais flageller (oh, logique romaine!) peut-être que ces brutes auront quelque pitié. Mais moi aussi je suis un lâche ; car si je m’attarde à plaider pour ce Quirite lamentable, ce n’est que pour retarder ma douleur. «Tunc ergo apprehendit Pilatus Jesum et flagellavit ».
Les soldats de garde emmènent Jésus dans l’atrium du prétoire et appellent à la rescousse toute la cohorte ; les distractions sont rares dans ce pays d’occupation. Pourtant le Seigneur a souvent manifesté une spéciale sympathie pour les militaires. Comme Il a admiré la confiance et l’humilité de ce centurion et son affectueuse sollicitude pour son serviteur qu’Il a guéri ! (Rien ne m’ôtera la conviction que c’était l’ordonnance de ce lieutenant d’infanterie coloniale.) Et tout à l’heure, ce sera le centurion de garde au Calvaire qui, le premier, proclamera Sa divinité. La cohorte semble prise d’un délire collectif, que Pilate n’a pas prévu. Satan est là, qui leur souffle la haine. Mais il suffit. Plus de discours, rien que des coups et tâchons d’aller jusqu’au bout.
Ils Le déshabillent et L’attachent tout nu à une colonne de l’atrium. Les bras sont tirés en l’air et les poignets liés en haut du fût. La flagellation se fait avec des lanières multiples, sur lesquelles sont fixées, à quelque distance de l’extrémité libre, deux balles de plomb ou des osselets. (C’est du moins à ce genre de flagrum que répondent les stigmates du Saint Linceul). Le nombre de coups est fixe à 39 par la loi hébraïque. Mais les bourreaux sont des légionnaires déchaînés; ils iront jusqu’aux limites de la syncope. En fait, les traces du Linceul sont innombrables et presque toutes sur la face postérieure; le devant du corps est contre la colonne. On les voit sur les épaules, sur le dos, les reins. Les coups de fouet descendent sur les cuisses, sur les mollets ; et là, l’extrémité des lanières, au delà des balles de plomb encercle le membre et vient marquer son sillon jusque sur la face antérieure. Les bourreaux sont deux, un de chaque côté, de taille inégale (tout ceci se déduit de l’orientation des traces du Linceul). Ils frappent à coups redoublés, avec un grand ahan.
Aux premiers coups, les lanières laissent de longues traces livides, de longs bleus d’ecchymose sous-cutanées. Rappelez-vous que la peau a été déjà modifiée, endolorie par les millions de petites hémorragies intradermiques de la sueur de sang. Les balles de plomb marquent davantage. Puis, la peau, infiltrée de sang, attendrie, se fend sous de nouveaux coups. Le sang jaillit ; des lambeaux se détachent et pendent. Toute la face postérieure n’est plus qu’une surface rouge, sur laquelle se détachent de grands sillons marbrés ; et, çà et là, partout, les plaies plus profondes dues aux balles de plomb. Ce sont ces plaies en forme d’haltère (les deux balles et la lanière entre les deux) qui s’imprimeront sur le Linceul.
A chaque coup, le corps tressaille d'un soubresaut douloureux. Mais Il n'a pas ouvert la bouche et ce mutisme redouble la rage satanique de Ses bourreaux. Ce n'est plus la froide exécution d'un ordre judiciaire; c'est un déchaînement de démons. Le sang ruisselle des épaules jusqu'à terre (les larges dalles en sont couvertes) et s'éparpille en pluie, des fouets relevés, jusque sur les rouges chlamydes des spectateurs.Mais bientôt les forces du supplicié défaillent ; une sueur froide inonde Son front ; la tête Lui tourne d’un vertige nauséeux ; des frissons Lui courent le long de l’échine, Ses jambes se dérobent sous Lui et, s’Il n’était lié très haut par les poignets, Il s’écroulerait dans la mare de sang. – Son compte est bon, bien qu’on n’ait pas compté.
Après tout on n’a pas reçu l’ordre de le tuer sous le fouet. Laissons-le se remettre ; on peut encore s’amuser. Ah ce grand nigaud prétend qu’il est roi, comme s’il en était sous les aigles romaines, et roi des Juifs encore, comble de ridicule ! Il a des ennuis avec ses sujets ; qu’à cela ne tienne, nous serons ses fidèles. Vite un manteau, un sceptre. On l’a assis sur une base de colonne (pas très solide la Majesté !) Une vieille chlamyde de légionnaire sur les épaules nues lui confère la pourpre royale ; un gros roseau dans sa main droite et ce serait tout à fait ça, s’il n’y manquait une couronne ; quelque chose d’original ! (Dans dix-neuf siècles, elle Le fera reconnaître, cette couronne, qu’aucun crucifié n’a portée). Dans un coin, un fagot de bourrées, de ces arbrisseaux qui foisonnent dans les buissons de la banlieue. C’est souple et ça porte de longues épines, beaucoup plus longues, plus aiguës et plus dures que l’acacia. On en tresse avec précaution, aïe, ça pique, une espèce de fond de panier, qu’on Lui applique sur le crâne. On en rabat les bords et avec un bandeau de joncs tordus, on enserre la tête entre la nuque et le front. Les épines pénètrent dans le cuir chevelu et cela saigne. (Nous savons, nous chirurgiens, combien cela saigne, un cuir chevelu.) Déjà le crâne est tout englué de caillots ; de longs ruisseaux de sang ont coulé sur le front, sous le bandeau de jonc, ont inondé les longs cheveux tout emmêlés et ont rempli la barbe.
La comédie d’adoration a commencé. Chacun tour, de rôle vient fléchir le genou devant Lui, avec une affreuse grimace, suivie d’un grand soufflet : « Salut, roi des juifs! » Mais Lui ne répond rien. Sa pauvre figure ravagée et pâlie n’a pas un mouvement. Ce n’est vraiment pas drôle! Exaspérés, les fidèles sujets Lui crachent au visage. « Tu ne sais pas tenir ton sceptre, donne. » Et pan, un grand coup sur le chapeau d’épines, qui s’enfonce un peu plus ; et horions de pleuvoir. Je ne me rappelle plus; serait-ce un de ces légionnaires, ou bien l’a-t-il reçu des gens du sanhédrin ? Mais je vois à présent qu’un grand coup de bâton donné obliquement a laissé sur la joue une horrible plaie contuse, et que Son grand nez sémitique, si noble, est déformé par une fracture de l’arête cartilagineuse. Le sang coule de ses narines dans ses moustaches. Assez, mon Dieu !
Mais voici que revient Pilate, un peu inquiet du prisonnier : qu'en auront fait ces brutes? Aïe, ils l'ont bien arrangé. Si les Juifs ne sont pas contents ! Il va Le leur montrer au balcon du prétoire, dans Sa tenue royale, tout étonné lui-même de ressentir quelque pitié, pour cette loque humaine. Mais il a compté sans la haine : « Tolle, crucifige ! » Ah les démons ! Et l'argument terrible pour lui : « Il s'est fait roi ; si tu l'absous, tu n'es pas l'ami de César. » Alors, le lâche s'abandonne et se lave les mains. Mais, comme l'écrira saint Augustin, ce n'est pas toi, Pilate, qui L'as tué, mais bien les Juifs, avec leurs langues acérées ; et en comparaison d'eux, tu es toi-même beaucoup plus innocent.On lui arrache la chlamyde, qui a déjà collé à toutes ses blessures. Le sangs recoule; Il a un grand frisson. On lui remet Ses vêtements qui se teintent de rouge. La croix est prête, on la Lui charge sur les épaules. Par quel miracle d’énergie peut-Il rester debout sous ce fardeau? Ce n’est en réalité, pas toute la croix, mais seulement la grosse poutre horizontale, le patibulum, qu’Il doit porter jusqu’au Golgotha, mais cela pèse encore près de 50 kilos. Le pieu vertical, le stipe, est déjà planté au Calvaire.
Et la marche commence, pieds nus dans des rues au sol raboteux semé de cailloux. Les soldats tirent sur les cordes qui Le lient, soucieux de savoir s’Il ira jusqu’au bout. Deux larrons Le suivent en même équipage. La route heureusement n’est pas très longue, environ 600 mètres et la colline du Calvaire est presqu’en dehors de la porte d’Ephraïm. Mais le trajet est très accidenté, même à l’intérieur des remparts. Jésus, péniblement, met un pied devant l’autre, et souvent Il s’effondre. Il tombe sur les genoux qui ne sont bientôt qu’une plaie. Les soldats d’escorte Le relèvent, sans trop Le brutaliser, ils sentent qu’Il pourrait très bien mourir en route. Et toujours cette poutre, en équilibre sur l’épaule, qui la meurtrit de ses aspérités et qui semble vouloir y pénétrer de force. Je sais ce que c’est : j’ai coltiné jadis, au 5e Génie, des traverses de chemin de fer, bien rabotées, et je connais cette sensation de pénétration dans une épaule ferme et saine. Mais Lui, Son épaule est couverte de plaies, qui se rouvrent et s’élargissent et se creusent à chaque pas. Il est épuisé. Sur Sa tunique sans couture une tache énorme de sang va toujours en s’élargissant et s’étend jusque sur le dos. Il tombe encore et cette fois de tout son long ; la poutre Lui échappe ; va-t-Il pouvoir Se relever ? Heureusement vient à passer un homme, retour des champs, ce Simon de Cyrène, qui tout comme ses fils Alexandre et Rufus, sera bientôt un bon chrétien. Les soldats le réquisitionnent pour porter cette poutre ; il ne demande pas mieux le brave homme ; oh, comme je le ferais bien ! Il n’y a plus finalement que la pente du Golgotha à gravir et, péniblement, on arrive au sommet. Jésus s’affaisse sur le sol et la crucifixion commence.
Oh, ce n’est pas très compliqué les bourreaux savent leur métier. Il faut d’abord Le mettre à nu. Les vêtements de dessus c’est encore facile. Mais la tunique, intimement, est collée à Ses plaies, pour ainsi dire à tout son corps et ce dépouillement est tout simplement atroce. Avez-vous jamais enlevé un premier pansement mis sur une large plaie contuse et desséché sur elle ? Ou avez-vous subi vous-même cette épreuve qui nécessite parfois l’anesthésie générale ? Si oui, vous pouvez savoir un peu de quoi il s’agit. Chaque fil de laine est collé à la surface dénudée, et, quand on le soulève, il arrache une des innombrables terminaisons nerveuses mises à nu dans la plaie. Ces milliers de chocs douloureux s’additionnent et se multiplient, chacun augmentant pour la suite la sensibilité du système nerveux. Or, il ne s’agit pas ici d’une lésion locale, mais de presque toute la surface du corps, et surtout de ce dos lamentable. Les bourreaux pressés y vont rudement. Peut-être cela vaut-il mieux, mais comment cette douleur aiguë, atroce, n’entraîne-t-elle pas la syncope ? Comme il est évident que, d’un bout à l’autre, Il domine, Il dirige Sa Passion. Le sang ruisselle à nouveau.
On L’étend sur le dos. Lui a-ton laissé l’étroite ceinture que la pudeur des juifs conserve aux suppliciés ? J’avoue que je ne sais plus : cela a si peu d’importance ; dans tous les cas, en Son Linceul, Il sera nu. Les plaies de son dos, des cuisses et des mollets s’incrustent de poussière et de menus graviers. On l’a mis au pied du stipe, les épaules couchées sur le patibulum. Les bourreaux prennent les mesures. Un coup de tarière, pour amorcer les trous des clous, et l’horrible chose commence. Un aide allonge l’un des bras, la paume en haut. Le bourreau prend son clou (un long clou pointu et carré, qui, près de sa grosse tête, est large de huit millimètres), il le pique sur le poignet, dans ce pli antérieur, qu’il connaît d’expérience. Un seul coup de son gros marteau : le clou est déjà fiché dans le bois, où quelques panpans énergiques le fixent solidement.
Jésus n’a pas crié, mais Son visage horriblement s’est contracté. Mais, surtout, j’ai vu au même instant Son pouce, d’un mouvement violent, impérieux, se mettre en opposition dans la paume : Son nerf médian a été touché. Mais, alors, je ressens ce qu’Il a éprouvé : une douleur indicible, fulgurante, qui s’est éparpillée dans Ses doigts, a jailli, comme un trait de feu, jusqu’à Son épaule et éclaté dans Son cerveau. C’est la douleur la plus insupportable qu’un homme puisse éprouver, celle que donne la blessure des gros troncs nerveux. Presque toujours elle entraîne la syncope et c’est heureux. Jésus n’a pas voulu perdre Sa connaissance. Encore, si le nerf était entièrement coupé. Mais non, j’en ai l’expérience, il n’est que partiellement détruit ; la plaie du tronc nerveux reste en contact avec ce clou, et sur lui, tout à l’heure, quand le corps sera suspendu, il sera fortement tendu comme une corde à violon sur son chevalet. Et il vibrera à chaque secousse, à chaque mouvement, réveillant la douleur horrible. Il en a pour trois heures.
L’autre bras est tiré par l’aide ; les mêmes gestes se répètent, et les mêmes douleurs. Mais cette fois, songez-y bien, Il sait ce qui l’attend. Il est maintenant fixé sur le patibulum, qu’Il suit étroitement des deux épaules et des deux bras. Il a déjà forme de croix comme Il est grand! Allons, debout! Le bourreau et son aide empoignent les bouts de la poutre et redressent le condamné, assis d’abord et puis debout et puis, Le reculant, L’adossent au poteau. Mais c’est, hélas, en tiraillant sur Ses deux mains clouées (Oh, Ses médians!) D’un grand effort, à bout de bras, mais le stipes n’est pas très haut, rapidement, car c’est bien lourd, ils accrochent d’un geste adroit le patibulum en haut du stipes. A son sommet, deux clous fixent le titulus trilingue. Le corps tirant sur les bras, qui s’allongent obliques, s’est un peu affaissé. Les épaules blessées par les fouets et par le portement de croix ont raclé douloureusement le rude bois. La nuque, qui dominait le patibulum, l’a heurté en passant, pour s’arrêter en haut du pieu. Les pointes acérées du grand chapeau d’épines ont déchiré le crâne encore plus profond.
Sa pauvre tête penche en avant, car l’épaisseur de Sa couronne l’empêche de reposer sur le bois; et chaque fois qu’Il la redresse, Il en réveille les piqûres. Le corps, pendant, n’est soutenu que par les clous plantés dans les deux carpes (oh, les médians!). Il pourrait tenir sans rien d’autre. Le corps ne se déplace pas en avant. Mais la règle est de fixer les pieds. Pour ce, pas besoin de console ; on fléchit les genoux, et l’on étend les pieds à plat sur le bois du stipes. Pourquoi, puisque c’est inutile, donner à faire au charpentier ? Ce n’est certes pas pour soulager la peine du crucifié. Le pied gauche à plat sur la croix. D’un seul coup (le marteau, le clou s’enfonce en son milieu (entre les deuxième et troisième métatarsiens). L’aide fléchit aussi l’autre genou et le bourreau ramenant le pied gauche devant le droit que l’aide tient à plat, d’un second coup, au même endroit, il perfore ce pied. Tout cela est facile, et puis à grands ahans, le clou est poussé dans le bois. Ici, merci mon Dieu, rien qu’une douleur bien banale, mais le supplice a à peine commencé. A deux hommes, tout le travail n’a guère duré plus de deux minutes et les plaies ont fort peu saigné.
On s’affaire alors auprès des deux larrons ; pour ceux-là des cordes suffisent, et les trois gibets sont garnis face à la ville déicide. N’écoutons pas tous ces Juifs triomphants, qui insultent à Sa douleur. Il leur a déjà pardonné, car ils ne savent ce qu’ils font.
Jésus, d’abord, s’est affaissé. Après tant de tortures, pour un corps épuisé, cette immobilité semble presque un repos, coïncidant avec une baisse de Son tonus vital. Mais Il a soif. Oh, il ne l’a pas encore dit ; avant de se coucher sur la poutre, Il a refusé la potion analgésique, vin mêlé de myrrhe et de fiel, que préparent les charitables femmes de Jérusalem. Sa souffrance Il la veut entière ; Il sait qu’Il la dominera. Il a soif.
Oui, «Adhaesit linguamea faucibus meis ». Il n’a rien bu ni rien mangé depuis hier au soir. Il est midi. Sa sueur de Gethsémani, toutes Ses fatigues, la grosse hémorragie du prétoire et les autres et même ce peu qui coule de ses plaies, tout cela Lui a soustrait une bonne partie de Sa masse sanguine. Il a soif. Ses traits sont tirés, Sa figure hâve est sillonnée de sang qui se coagule partout. Sa bouche est entr’ouverte et Sa lèvre inférieure déjà commence à pendre ? Un peu de salive coule dans Sa barbe, mêlée au sang issu de Son nez écrasé. Sa gorge est sèche et embrasée, mais Il ne peut plus déglutir. Il a soif. Dans cette face tuméfiée, toute sanglante et déformée, comment pourrait-on reconnaître le plus beau des enfants des hommes ? « Vermis sum et non homo ». Elle serait affreuse, si l’on n’y voyait pas malgré tout resplendir la majesté sereine du Dieu qui veut sauver Ses frères. Il a soif. Et tout à l’heure Il le dira, pour accomplir les Ecritures. Et un grand benêt de soldat, voilant sa compassion sous une raillerie, imbibant une éponge de sa posca acidulée, acetum, disent les Evangiles, la Lui tendra au bout d’un roseau. En boira-t-il seulement une goutte ? On a dit que le fait de boire détermine chez ces pauvres suppliciés une syncope mortelle.
Comment, après avoir reçu l’éponge, pourra-t-il donc parler encore deux ou trois fois ? Non, non, Il mourra à Son heure. Il a soif. Et cela vient de commencer. Mais, au bout d’un moment, un phénomène étrange se produit. Les muscles de Ses bras se raidissent d’eux-mêmes, en une contracture, qui va s’accentuant ; Ses deltoïdes, Ses biceps sont tendus et saillants, Ses doigts s’incurvent en crochets. Des Crampes ! Vous avez tous, peu ou prou, senti cette douleur progressive et aiguë, dans un mollet, entre deux côtes, un peu partout. Il faut, toute affaire cessante, détendre en l’allongeant ce muscle contracté. Mais regardons ! Voici maintenant aux cuisses et aux jambes les mêmes saillies monstrueuses, rigides, et les orteils qui se recourbent. On dirait un blessé atteint de tétanos, en proie à ces horribles crises, que l’on ne peut pas oublier. C’est ce que nous appelons la tétanie, quand les crampes se généralisent ; et voici que c’est fait. Les muscles du ventre se raidissent en vagues figées ; puis les intercostaux, puis les muscles du cou et les muscles respiratoires. Son souffle peu à peu est devenu plus court, superficiel. Ses côtes, déjà soulevées par la traction des bras, se sont encore surélevées ; l’épigastre se creuse et aussi les salières au-dessus des clavicules.
L’air entre en sifflant mais ne sort presque plus. Il respire tout en haut, inspire un peu, ne peut plus expirer. Il a soif d’air. (C’est comme un emphysémateux en pleine crise d’asthme.) Sa figure pâle a peu à peu rougi ; elle a passé au violet pourpre et puis au bleu. Il asphyxie. Ses poumons gorgés d’air ne peuvent plus se vider. Son front est couvert de sueur, Ses yeux exorbités chavirent. Quelle atroce douleur doit marteler son crâne ! Il va mourir. Hé bien, tant mieux. N’a-t-il donc pas assez souffert ? Mais non, son heure n’est pas venue. Ni la soif ni l’hémorragie, ni l’asphyxie, ni la douleur n’auront raison du Dieu Sauveur et s’Il meurt avec ces symptômes, Il ne mourra vraiment que parce qu’Il le veut bien, « habens in potestate ponere animam suam et recipere eam ».
Et c’est ainsi qu’Il ressuscitera. Alléluia ! Que se passe-t-il donc ? Lentement, d’un effort surhumain, Il a pris point d’appui sur le clou de Ses pieds, oui, sur Ses plaies. Les cous-de-pied et les genoux s’étendent peu à peu et le corps, par à coups remonte, soulageant la traction des bras (cette traction qui était de plus de 90 kilos sur chaque main.) Alors, voici que de lui-même, le phénomène diminue, la tétanie régresse, les muscles se détendent, tout au moins ceux de la poitrine. La respiration devient plus ample et redescend, les poumons se dégorgent et bientôt la figure a repris sa pâleur d’avant. Pourquoi tout cet effort ? C’est qu’Il veut nous parler « Pater dimitte illis ». Oh oui, qu’Il nous pardonne, à nous qui sommes ses bourreaux. Mais au bout d’un instant, Son corps commence à redescendre… et la tétanie va reprendre. Et chaque fois qu’Il parlera (nous avons retenu au moins sept de ses phrases) et chaque fois qu’Il voudra respirer, il Lui faudra se redresser, pour retrouver Son souffle, en se tenant debout sur le clou de Ses pieds. Et chaque mouvement retentit dans Ses mains, en douleurs indicibles (oh, Ses médians!) C’est l’asphyxie périodique du malheureux qu’on étrangle et qu’on laisse reprendre vie, pour l’étouffer en plusieurs fois. A cette asphyxie Il ne petit échapper, pour un moment, qu’au prix de souffrances atroces et par un acte volontaire. Et cela va durer trois heures. Mais mourez donc, mon Dieu ! Je suis là au pied de la croix, avec Sa Mère et Jean et les femmes qui Le servaient. Le centurion, un peu à part, observe avec une attention déjà respectueuse. Entre deux asphyxies, Il se dresse et Il parle : « Fils, voici votre Mère ». Oh oui, chère Maman, qui depuis ce jour-là nous avez adoptés! ? Un peu plus tard ce pauvre bougre de larron s’est fait ouvrir le paradis.
Mais, quand donc mourrez-vous, Seigneur ! Je sais bien, Pâques vous attend et votre corps ne pourrira pas, comme les nôtres. Il est écrit: « Non dabis sanctum luum videre corruptionem ». Mais, mon pauvre Jésus (excusez le chirurgien), toutes vos plaies sont infectées ; elles le seraient d’ailleurs à moins. Je vois distinctement sur elles suinter une lymphe blonde, et transparente, qui se collecte au point déclive en une croutelle cireuse. Sur les plus anciennes déjà des fausses membranes se forment, qui sécrètent un seropus. Il est écrit aussi : « Putruerunt et corruptae sunt cicatrices meae ».
Un essaim de mouches affreuses, de grosses mouches vert et bleu, comme on en voit aux abattoirs et aux charniers, tourbillonne autour de Son corps ; et brusquement elles s’abattent sur l’une ou l’autre plaie, pour en pomper le sue et y pondre leurs œufs. Elles s’acharnent au visage ; impossible de les chasser. Par bonheur, depuis un moment le ciel s’est obscurci, le soleil s’est caché ; il fait soudain très froid. Et ces filles de Béelzéboul ont peu à peu quitté la place. Bientôt trois heures.
Enfin! Jésus lutte toujours. De temps en temps, Il se redresse. Toutes Ses douleurs, Sa soif, Ses crampes, l’asphyxie et les vibrations de Ses deux nerfs médians ne Lui ont pas arraché une plainte. Mais, si Ses amis sont bien là, Son Père, et c’est l’ultime épreuve, Son Père semble l’avoir abandonné. « Eli, Eli, lammasabachtani ? » Il sait maintenant qu’Il s’en va. Il crie « Consumatum est ». La coupe est vide, la tâche est faite. Puis, de nouveau se redressant et comme pour nous faire entendre qu’Il meurt de par Sa volonté « iterum clamans voce magna » : Mon Père, dit-Il, je remets mon âme entre Vos mains (habens in potestate ponere animam suam). Il est mort quand Il l’a voulu. Et qu’on ne me parle plus de théories physiologiques! « Laudato si Missignore per sora nostra morte corporale ! » Oh oui, Seigneur, soyez loué, pour avoir bien voulu mourir. Car nous n’en pouvions plus. Maintenant tout est bien. Dans un dernier soupir, Votre Tête vers moi, lentement, s’est penchée, droit devant Vous, Votre menton sur le sternum. Je vois à présent bien en face Votre visage détendu, rasséréné, que malgré tant d’affreux stigmates illumine la majesté très douce de Dieu qui est toujours là.
Je me suis affalé à genoux devant Vous, baisant Vos pieds troués, où le sang coule encore, en se coagulant vers les pointes. La rigidité cadavérique Vous a saisi brutalement, comme le cerf forcé à la course. Vos jambes sont dures comme l’acier… et brûlantes. Quelle température inouïe Vous a donné cette tétanie? La terre a tremblé; que m’importe ? et le soleil s’est éclipsé. Joseph est allé réclamer Votre corps à Pilate, qui ne le refusera pas. Il hait ces Juifs, qui l’ont forcé à Vous tuer ; cet écriteau sur Votre Tête proclame bien haut sa rancune « Jésus, roi des Juifs », et crucifié comme un esclave ! Le centurion est allé faire son rapport, après Vous avoir, le brave homme, proclamé le vrai Fils de Dieu. Nous allons Vous descendre et ce sera facile, une fois les pieds décloués. Joseph et Nicodème décrocheront la poutre du stipes. Jean Votre bien aimé Vous portera les pieds; à deux autres, avec un drap tordu en corde nous soutiendrons Vos reins. Le linceul est prêt, sur la pierre ici tout près, face au sépulcre ; et là, tout à loisir, on déclouera Vos mains. Mais qui vient là? Ah oui, les Juifs ont dû demander à Pilate qu’on débarrasse la colline de ces gibets qui offensent la vue et souilleraient la fête de demain. Race de vipères qui filtrez le moucheron et déglutissez le chameau ! Des soldats brisent à grands coups de barre de fer les cuisses des larrons. Ils pendent maintenant lamentablement et, comme ils ne peuvent plus se soulever sur les cordes des jambes, la tétanie et l’asphyxie les auront bientôt achevés. Mais rien à faire ici pour vous! « Os non comminuetis ex eo».
Laissez-nous donc en paix ; ne voyez- vous pas qu’Il est mort? – Sans doute, disent-ils. Mais quelle idée a pris l’un d’eux ? D’un geste tragique et précis, il a levé la hampe de sa lance et, d’un seul coup oblique au côté droit, il l’enfonce profondément. Oh pourquoi ? « Et aussitôt, de la plaie est sorti du sang et de l’eau ». Jean l’a bien vu et moi aussi, et nous ne saurions mentir : un large flot de sang liquide et noir, qui a jailli sur le soldat et peu à peu coule en bavant sur la poitrine, en se coagulant par couches successives. Mais, en même temps, surtout visible sur les bords, a coulé un liquide clair et limpide comme de l’eau. Voyons, la plaie est au-dessous et en dehors du mamelon (5e espace), le coup oblique. C’est donc le sang de l’oreillette et l’eau sort de Son péricarde. Mais alors, mon pauvre Jésus, Votre cœur était tout, cette douleur angoissante et cruelle du cœur serré dans un étau. N’était-ce pas assez de ce que nous voyions? Est-ce pour que nous le sachions que cet homme a commis son agression bizarre ? Peut être aussi les Juifs auraient-ils prétendu que Vous n’étiez pas mort mais évanoui ; Votre résurrection demandait donc ce témoignage. Merci, soldat, merci, Longin; tu mourras un jour en martyr chrétien.
Et maintenant, lecteur, remercions Dieu, qui m’a donne la Force d’écrire cela jusqu’au bout ; non pas sans larmes ! Toutes ces douleurs effroyables, que nous avons vécues en Lui, Il les a toute sa vie prévues, préméditées, voulues, dans Son Amour pour racheter toutes nos fautes. « Oblatus est quia ipse voluit». Il a dirigé toute Sa Passion, sans éviter une torture ; en acceptant les conséquences physiologiques, mais sans être dominé par elles Il est mort quand et comme et parce qu’Il l’a voulu. Jésus est en agonie jusqu’à la fin des temps. Il est juste, il est bon de souffrir avec Lui et de Le remercier, quand Il nous envoie la douleur, de nous associer à la Sienne. Il nous faut achever, comme l’écrit Saint Paul, ce qui manque à la Passion du Christ, et, avec Marie, Sa Mère et notre Mère, accepter joyeusement, fraternellement notre Compassion. O Jésus, qui n’avez pas eu pitié de Vous-même, qui êtes Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur.
Docteur Pierre BARBET
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Marie-Anne-2
Marie-Anne-2- Première Demeure : J'évite le péché mortel.
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Date d'inscription : 12/05/2010
La passion corporelle de Jésus
Ce texte viens du site http://www.anuncioblog.com/2008/03/19/469-la-passion-
corporelle-de-jesus/
Marie-Anne-2
Marie-Anne-2- Première Demeure : J'évite le péché mortel.
- Messages : 26
Date d'inscription : 12/05/2010
Re: La passion corporelle de Jésus
@ Marie-Anne2 :
Merci pour ce texte de ce célèbre livre du Dr Pierre Barbet intitulé La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien.
Voyez le texte qui en résumait le contenu :
Si le Récit de la Passion du Christ n'a pas manqué de savants exégètes théologiens, seul un chirurgien pouvait tirer de la méditation du texte évangélique une description précise des souffrances physiques du Crucifié.
Ayant entrepris, en toute indépendance d'esprit et avec la plus grande objectivité scientifique, une étude du Linceul de Turin, le Docteur Pierre Barbet découvrit peu à peu, en 20 années de recherches patientes et minutieuses, tout le détail des souffrances que Notre-Seigneur voulut endurer pour nous. Il s'agit moins, dans ce livre, de démontrer l'authenticité d'une relique, que de nous apprendre à « compatir » avec notre Rédempteur.
Cependant, l'accord saisissant des découvertes anatomiques, des données évangéliques et des images du Linceul aboutit pour l'auteur à la conviction que ce linge a contenu le corps du Christ et qu'il est, comme l'a dit le Pape Pie XI, « une chose sacrée comme peut-être nulle autre »
Octo
Merci pour ce texte de ce célèbre livre du Dr Pierre Barbet intitulé La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien.
Voyez le texte qui en résumait le contenu :
Si le Récit de la Passion du Christ n'a pas manqué de savants exégètes théologiens, seul un chirurgien pouvait tirer de la méditation du texte évangélique une description précise des souffrances physiques du Crucifié.
Ayant entrepris, en toute indépendance d'esprit et avec la plus grande objectivité scientifique, une étude du Linceul de Turin, le Docteur Pierre Barbet découvrit peu à peu, en 20 années de recherches patientes et minutieuses, tout le détail des souffrances que Notre-Seigneur voulut endurer pour nous. Il s'agit moins, dans ce livre, de démontrer l'authenticité d'une relique, que de nous apprendre à « compatir » avec notre Rédempteur.
Cependant, l'accord saisissant des découvertes anatomiques, des données évangéliques et des images du Linceul aboutit pour l'auteur à la conviction que ce linge a contenu le corps du Christ et qu'il est, comme l'a dit le Pape Pie XI, « une chose sacrée comme peut-être nulle autre »
Octo
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"N'éteignez pas l'Esprit, ne dépréciez pas les dons de prophétie; mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le; gardez-vous de toute espèce de mal." 1 Thess 5, 19-22
*Venez prier et adorer en direct sur le Forum VSJ via le Web* :
http://viens-seigneur-jesus.forumactif.com/
Le Dr Barbet a travaillé avec un cadavre pour écrire son livre !
Le Dr Barbet a travaillé avec un cadavre pour écrire son livre !
Ce qui est spectaculaire dans le travail du Dr Barbet, c'est qu'il s'est servi d'un cadavre pour faire l'étude de la Passion du Christ selon le chirurgien, cadavre qu'il a crucifié sur une croix de bois !
Voyez les photos :
Cadavre crucifié vu de profil
Cadavre crucifié vu de face
Voici un texte qui raconte cette histoire :
Les Christ du Dr Barbet
On sait que les tissus ne meurent que peu à peu après le dernier soupir ; pendant plus ou moins longtemps, les muscles et les nerfs réagissent encore aux excitations électriques et même mécaniques ; nous verrons que cela n'a pas été inutile. Somme toute, mes expériences ont porté, étant faites aussitôt après l'amputation du bras, sur des mains réellement vivantes, mis à part la circulation du sang [1].
Durant l'entre-deux-guerres, Pierre Barbet (1884-1961) fut chirurgien à l'hôpital Saint-Joseph de Paris. Il est au nombre des médecins que les clichés photographiques pris du Suaire de Turin – par Secondo Pia en 1898, par le commandeur Enrie durant l'ostension de 1931 [figure 1] – ont, intimement, mis à la question. La plupart avaient (ont) la foi, ce que je tiens pour un point sans incidence sur leur légitimité, dans l'inachevable débat sur le Linge : qu'un scientifique (ce fut, en 1902, le cas de Delage) mette en avant son athéisme comme caution de sa bonne foi à défendre l'authenticité du Saint Suaire sonne comme une argutie un peu pitoyable. Toujours, les médecins m'ont paru les plus crédibles devant le cas clinique de l'homme du Suaire. C'est leur métier de l'être. En raison de la foi ardente dont il témoigne, Pierre Barbet n'est pas le moins attachant.
Figure 1
Les deux clichés, de face et de profil, qu'il reproduit dans le cahier iconographique de sa Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien ont été réalisés dans les années 1930, dans les sous-sols de Saint-Joseph. En son temps, l'ouvrage obtint l'imprimatur et le nihil obstat. Sa treizième édition date de 2005. Elle est disponible au catalogue de l'éditeur religieux Médiaspaul.
Au bras qu'il venait d'amputer, Pierre Barbet suspendait un poids d'une quarantaine de kilos, non sans avoir rappelé, dans le récit qu'il rédige de l'expérience [2], la formule mathématique qui permet de calculer la décompositions d'un poids en deux forces symétriques obliques. L'enjeu était d'étayer la thèse selon laquelle les clous des mains n'avaient pas été plantés dans la paume, mais dans le poignet. L'angulation des bras comptait pour l'autre thèse que défendait Pierre Barbet, la mort par asphyxie. Dans les décennies qui suivirent, un médecin américain, Frederick T. Zugibe, a reprendra cette question, vérifiera la pertinence des calculs établis par Pierre Barbet. Au regard de la clinique, l'affaire paraît entendue de longue date. Pourtant, on y revient. On rejoue cette scène, sans relâche [figure 2].
Figure 2
La crucifiction du cadavre marque, dans le livre de Pierre Barbet, l'entrée en scène d'un autre protagoniste, lui aussi médecin, lui aussi croyant, mais également sculpteur : Charles Villandre. Barbet précise que son collègue et ami avait déjà modelé son crucifix, conforme aux données anatomiques fournies par le Suaire et vérifiées par les expériences de Pierre Barbet, quand tous deux se retrouvèrent dans les sous-sols de Saint-Joseph. Barbet cloue. Villandre cliche [figure 3].
Figure 3
On doit à Charles Villandre une médaille à l'effigie d'Anatole France, frappée dans ces mêmes années [figure 4]. Autant que son collègue, la physionomie de l'homme du Suaire le hante.
Figure 4
Il n'y avait ce jour-là que des cadavres de femmes et j'ai choisi la moins vilaine. Son poids léger ne me gênait pas : il ne s'agissait pas d'une épreuve de résistance, déjà faite sur des bras vivants, mais d'une simple vérification d'angulation [3]. Si la photographie de la crucifiée de Saint-Joseph est une chimère – le produit improbable du croisement de la foi et de la science –, rien ne singularise, au premier regard, le crucifix de Charles Villandre parmi l'imposante production sulpicienne de l'époque dont, aujourd'hui encore, le commerce reste prospère [figure 5]. Pas plus qu'il ne rivalise avec les grandes œuvres statuaires ou picturales de l'art occidental. Ni le sculpteur, ni l'anatomiste n'auront acquis de postérité dans leur discipline qui ne soit liée, directement ou indirectement, à l'homme du Suaire.
Figure 5
Sans doute existe-t-il une forme de folie de Dieu qui apparente ceux qu'elle frappe, plus qu'à des intégristes, aux fous littéraires. La photographie de son Golgotha underground me glace, Pierre Barbet me touche (pour ne pas dire qu'il me bouleverse) par la voie saisissante qu'emprunte sa foi, une modalité de l'âme qui appartient désormais au monde ancien. Le fou est en littérature – qui oserait l'exclure ? nier son droit à la différence ? –, et le Palais idéal du facteur Cheval, certains le défendent, est encore de l'art.
Références :
[1] Pierre Barbet, La Passion de Jésus-Christ selon le chirurgien, Apostolat des éditions/Éditions Paulines, 1965, p. 147. Première édition : Éditions Dillen & Cie, 1950. La pagination mentionnée ici dans les références (notes et légendes des illustrations) est celle de la huitième édition (décembre 1971).
[2] Pierre Barbet, ibid.
[3] Pierre Barbet, op. cit., p. 227.
SOURCE : http://blog-dominique.autie.intexte.net/blogs/index.php/2007/01/26/les_christ_du_docteur_pierre_barbet
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