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Message  sylvia Ven 15 Mar 2013 - 7:19

De Buenos Aires à Rome, un veilleur qui parle d’espérance

Austère et ascète, le cardinal Bergoglio s’est toujours montré un ardent défenseur des pauvres et des exclus.

14/3/13

En 2008, dans une Argentine redevenue prospère après la crise de 2001-2002 mais qui accueillait difficilement de nouvelles populations venues des voisins latino-américains, le cardinal Jorge Mario Bergoglio devait rappeler dans une homélie la dette de son pays aux immigrés. « Ils sont venus. Quelle surprise ! Comme le père ou la mère de nous tous ici. Comme mon père », insistait-il.

Car le nouveau pape est d’abord un enfant d’immigrés italiens. Son père, venu du Piémont dans les années 1920, s’installe à Flores, un quartier alors populaire de l’ouest de Buenos Aires où son quatrième fils naît en 1936.

En bon Argentin, le petit garçon se passionne pour le football et le club de San Lorenzo, fondé en 1908 par un prêtre et qui a pris comme couleurs le rouge et le bleu d’une statue de la Vierge. Jorge Bergoglio raconte ne pas avoir manqué un seul match de championnat depuis 1946…

Élevé à l’école publique, il entame ensuite des études de chimie et travaille quelque temps dans un laboratoire. De cette époque, il se souvient d’un groupe d’amis avec qui il allait danser, et d’une « petite amie ». « Puis j’ai découvert la vocation religieuse », racontait-il en 2010 à deux journalistes dans un livre d’entretiens, non disponible en français. Ce sera d’abord le séminaire diocésain de Buenos Aires, puis le noviciat jésuite où il entre en 1958.

« Homme discret et très efficace »

Commencent alors de longues années d’études, de jésuitière en jésuitière : humanités au Chili, philosophie à Buenos Aires, il est professeur de lettres avant d’entamer ses études de théologie à San Miguel, dans la banlieue de Buenos Aires et est ordonné prêtre en 1969. Après son « troisième an » en Espagne, il devient maître des novices en 1972 puis, l’année suivante, provincial d’Argentine.

Des années difficiles, marquées par la dictature, où la Compagnie est profondément divisée sur la question de la théologie de la libération et souffre d’une baisse des vocations. À seulement 37 ans, il doit prendre des décisions difficiles, soucieux de maintenir la non-politisation des jésuites, mais, six ans plus tard, il laisse une province apaisée et de nouvelles vocations.

Recteur du Collegio Maximo de Buenos Aires et curé dans la capitale argentine en 1980, il part en 1986 achever ses études de théologie en Allemagne, puis revient comme curé en Argentine, à Cordoba, à 700 km à l’ouest de Buenos Aires.

Un parcours classique mais une solidité doctrinale appréciée au point que ce « wojtylien pur jus », selon les mots de Sergio Rubin, chroniqueur religieux du grand quotidien argentin Clarin, est nommé évêque auxiliaire de Buenos Aires en 1992. Il se fait alors remarquer par sa discrétion, développant ses talents pastoraux en s’occupant surtout de l’université catholique et des prêtres du diocèse.

Coadjuteur en 1997, il succède l’année suivante au cardinal Antonio Quarracino qui, quelques jours avant sa mort, évoquait « cette bonne nouvelle pour son diocèse », dressant le portrait d’un « homme discret et très efficace, fidèle à l’Église et très proche des prêtres et des catholiques ».

« Veiller nous parle d’espérance »

De fait, le nouvel archevêque est un ascète qui délaisse alors la pompeuse résidence épiscopale pour vivre seul dans un petit appartement près de la cathédrale et refuse voiture avec chauffeur pour les transports en commun.

Malgré sa santé fragile – on lui a ôté une partie du poumon droit à 20 ans –, il mène une vie ascétique et se lève à 4 h 30-5 heures pour une journée de travail assidue que ce grand lecteur (notamment les romans russes, Dostoïevski en tête, et son compatriote Borges) et amateur d’opéra, commence toujours par une longue lecture d’une presse à laquelle il n’a accordé que de rares interviews.

L’homme est en effet connu pour parler peu mais écouter beaucoup. « Il écoute deux fois plus qu’il ne parle et perçoit bien plus que ce qu’il écoute », confiait un proche à La Croix en 2005. De ses années de curé, il a gardé un sens pastoral affirmé, ne répugnant pas à confesser régulièrement dans sa cathédrale et faisant tout pour rester proche de ses prêtres, pour lesquels il a ouvert une ligne téléphonique directe.

En 2001, tout juste créé cardinal, il se fait remarquer par son humilité au Synode des évêques, où il est rapporteur adjoint, suppléant au pied levé le New-Yorkais Egan parti rejoindre sa ville, blessée par les attentats du 11-septembre. Ses propos sur l’évêque plus « veilleur » que « surveillant » sont notés avec intérêt. « Surveiller se réfère davantage à l’attention envers la doctrine et les coutumes, tandis que veiller évoque plutôt le fait d’être attentif à ce qu’il y ait du soleil et de la lumière dans les cœurs, affirme-t-il.

Être sur ses gardes fait penser à l’alerte devant le danger imminent, alors que veiller fait penser au soutien patient des processus à travers lesquels le Seigneur guide son peuple vers le Salut. Surveiller et être en garde nous parlent d’un nécessaire contrôle. Au contraire, veiller nous parle d’espérance. »

« Un pape pour un monde sans esclaves ni exclus »

Et cette proximité avec son peuple, il la vit profondément. Dans une Amérique latine post-théologie de la libération où la proximité avec les pauvres est regardée avec suspicion, il n’hésite pas à encourager ses prêtres à s’investir dans les quartiers difficiles.

Certains jours, il va lui-même visiter en bus ou en métro ces héritiers des prêtres pour le Tiers-monde qui n’hésitent pas à le tutoyer et dont il doit parfois prendre publiquement la défense quand ils sont menacés par les narcotrafiquants. « Ils travaillent. Ils n’attaquent personne.

Celui qui a dit que la drogue était un danger non seulement dans les favelas mais dans toute la ville, c’est moi, pendant cette messe. J’ai dit aux parents : regardez ce que font vos enfants, prenez soin d’eux, car la drogue arrive partout », racontait-il en 2009 à 30 Giorni.

Créé cardinal en 2001 par Jean-Paul II, il a en effet fait de la lutte contre la pauvreté un de ses combats – « une violation des droits de l’homme », affirmait-il en 2009 – pourfendant le néolibéralisme, la mondialisation et l’économie spéculative qui détruit les emplois.

Il s’engage aussi contre l’exclusion, le travail clandestin et l’exploitation des enfants, n’hésitant pas à parler d’« esclavage ». « Bergoglio est un pape pour un monde sans esclaves ni exclus », se félicitait hier la Fondation La Alameda engagée sur ces fronts et qu’il a soutenue et visitée à plusieurs reprises.

« C’est mon pire ennemi, car c’est le plus intelligent »

Car, bien que viscéralement attaché à la doctrine, il explique combien « il ne suffit pas que notre vérité soit orthodoxe et notre action pastorale efficace : sans la joie de la beauté, la vérité devient impitoyable, froide et orgueilleuse ».

Critiquant les « hypocrites » qui « cléricalisent l’Église » et « éloignent le salut du peuple de Dieu », il s’était ainsi indigné, en septembre dernier, d’apprendre qu’un prêtre de Buenos Aires avait refusé le baptême à l’enfant d’une mère célibataire.

Devenu une figure morale incontestable en Argentine, il finit par apparaître comme la seule véritable force à s’opposer au régime Kirchner, dont il ne cesse de dénoncer l’autoritarisme, montant sans cesse au créneau contre les lois promouvant l’avortement, le mariage homosexuel ou l’éducation sexuelle à l’école. « C’est mon pire ennemi, car c’est le plus intelligent », avouait un parlementaire de gauche contre lequel il avait ferraillé.

Mais cela ne l’empêche pas de toujours maintenir le dialogue. « N’oublions pas que nous sommes ici pour prier pour un homme nommé Nestor et qui avait reçu l’onction du peuple », rappelait-il avec respect, en 2010, à la mort de Nestor Kirchner, appelant à faire taire les divergences politiques le temps du deuil.

Témoigner ensemble de la tendresse de l’Église envers les pauvres

Ce souci du dialogue, il a, plus largement, su le mettre en œuvre avec les autres confessions. Que ce soit le judaïsme – « le cardinal Bergoglio a fourni de nombreuses preuves de sa sensibilité, de son engagement social et humain et de sa vocation de dialogue fraternel avec la communauté juive, dans l’esprit du concile Vatican II », se félicitait hier l’importante communauté juive argentine – qu’avec les évangéliques.

Il participait ainsi régulièrement aux grands rassemblements charismatiques organisés dans la ville par le P. Raniero Cantalamessa, prédicateur de la Maison pontificale. Lors de la dernière, en octobre 2012, il exhortait catholiques et évangéliques à témoigner ensemble de la tendresse de l’Église envers les pauvres, déplorant sa « mollesse » en la matière.

Et de demander alors pardon pour cette « Église qui a perdu la tendresse » : « Ne nous habituons pas à voir dans la rue des enfants souffrant de malnutrition, des populations abandonnées, des gens qui manquent de nourriture et d’abris !

Seigneur, que chaque plaie que nous rencontrons nous interpelle et que nous y répondions avec tendresse ! »
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