Le Pape:« Quand Dieu est jeté dehors, le monde se transforme en un lieu inhospitalier"

À Cuba, Benoît XVI lance un appel pour une société « plus digne de l’homme »

Sur un registre plus spirituel que politique, le pape a entamé à Santiago son rendez-vous historique avec l’île de Cuba

Benoît XVI devant la statue de la Vierge de la Charité du cuivre, lors de la messe à Santiago de Cuba, lundi 26 mars
En dépit des mesures de sécurité, un homme a jailli de la foule pour protester contre la dictature.

L’homme a jailli de la foule, ce lundi en fin d’après-midi, à Santiago de Cuba, sur la place Antonio Maceo, héros de la guerre d’indépendance. Criant « A bas le communisme ! À bas le dictateur ! », il s’est précipité vers le podium où, devant 200 000 personnes, Benoît XVI s’apprêtait à célébrer la messe, juste après son arrivée sur l’île cubaine, en provenance du Mexique.

À quelques dizaines de mètres, le président cubain, Raul Castro, n’a pas bronché. Les hommes chargés de la sécurité ont immédiatement ceinturé l’homme. Dans la foule, certains ont vu dans son geste une provocation visant à discréditer l’Église. Mais l’homme avait tout l’air d’un véritable « indigné ».

Benoît XVI a en effet choisi de débuter, lundi matin, sa rencontre avec l’île caraïbe, un des rares vestiges du monde marxiste, par une première escale au port de Santiago de Cuba, la ville aux deux symboles. Grande rivale de La Havane, elle fut la capitale de Cuba de 1515 à 1607. « Cité héroïque », c’est là qu’eut lieu la première apparition publique de Fidel Castro, révolutionnaire victorieux, le 1er janvier 1959. Les catholiques n’y sont qu’un quart de la population, soit 250 000, et les prêtres seulement 26, avec deux séminaristes.

À Cuba, l’Église ne fait pas le show

« Santiago, rebelle hier, hospitalière aujourd’hui, héroïque toujours » proclame, mettant en scène un guérillero armé, l’unique panneau d’affichage sur l’immense place dénuée de toute enseigne publicitaire et dominée par la statue équestre géante de Maceo. Non loin, à l’occasion de la célébration pontificale, un calicot affichait, lui, le mot d’ordre de l’Église pour ce moment exceptionnel : « La charité nous unit. »

Peu avant l’incident, la statue de la Vierge du Cuivre, patronne de Cuba, avait fait le tour de l’immense assistance. Elle a ensuite été portée à côté de l’autel. Ces derniers mois, cette statue, découverte en 1608 sur une plage proche, a parcouru l’ensemble des paroisses de l’île, et a pu être vénérée par plus de cinq millions de personnes, soit près de la moitié des Cubains, marquant ainsi une avancée notable dans la visibilité de l’Église.

À son arrivée au premier rang, Raul Castro a été presque autant applaudi que la madone nationale. Mais le silence, grave et attentif, restera la marque de cette célébration, marquée par l’absence des habituels écrans géants. À Cuba, l’Église ne fait pas le show. Devant cette foule, le pape a choisi, en cette fête de l’Annonciation, et comme il l’avait fait au Mexique, d’honorer la dimension mariale de la foi, axant son exigeante méditation sur l’Incarnation.

Que vous « luttiez pour construire une société ouverte et rénovée »

Évoquant implicitement l’idéologie marxiste, dont il avait dit dans l’avion, vendredi, qu’elle « ne correspondait plus à la réalité », il a expliqué : « Quand Dieu est jeté dehors, le monde se transforme en un lieu inhospitalier, décevant en même temps la vraie vocation d’être un espace pour l’alliance, pour le oui de l’amour entre Dieu et l’humanité qui lui répond. »

Et il a insisté : « Il est émouvant de voir comment Dieu non seulement respecte la liberté humaine, mais semble en avoir besoin. » Là réside pour lui le secret de la véritable lutte pour la liberté : « Acceptons avec patience et foi n’importe quelle contrariété ou affliction, avec la conviction que dans sa résurrection Jésus a vaincu le pouvoir du mal qui obscurcit tout, et a fait se lever un monde nouveau, le monde de Dieu, de la lumière, de la vérité et de la joie. »

L’objectif final est alors explicite : « Je désire lancer un appel (…) pour qu’avec les armes de la paix, le pardon et la compréhension, vous luttiez pour construire une société ouverte et rénovée, une société meilleure, plus digne de l’homme, qui reflète davantage la bonté de Dieu. .

Raul Castro évoque la « crise morale » du monde occidental

Trois heures plus tôt, le pape avait été accueilli à l’aéroport, au son de 21 coups de canon, par Raul Castro, successeur de son frère Fidel, dans une atmosphère étrange. L’aéroport international de Santiago avait été totalement vidé, d’avions comme de présence humaine. Après l’arrêt des réacteurs du Boeing d’Alitalia, un grand silence envahit le tarmac, troué seulement de 21 coups de canons.

Seule une poignée d’officiels cubains étaient présents, et quelques dizaines de fidèles avaient été admis à dire leur joie à l’arrivée du pape. Il est vrai que des milliers attendaient le pape dès sa sortie de l’aéroport. Dans son discours de bienvenue, prononcé face à ce vide, le président Castro a aligné sa critique du capitalisme financier international sur celle professée régulièrement par Benoît XVI, à moins que ce ne soit l’inverse. Étrange écho…

Face au pape, il a évoqué « la crise morale » et « les jeunes « indignés » du monde occidental, qui ne supportent plus l’injustice. » Et face aux quatorze évêques cubains, il a confirmé la bonne tenue des relations entre l’Église et l’État, affirmant : « Notre constitution garantit la pleine liberté religieuse pour toutes les religions. ». Enfin, il s’est félicité du succès rencontré par la pérégrination de la Vierge du Cuivre à l’intérieur de l’île, « qui a eu une grande signification, pour les croyants comme pour les non-croyants. »
Lacroix.