Quelques aspects de l'action de Satan en ce monde !
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Quelques aspects de l'action de Satan en ce monde !
QUELQUES ASPECTS DE L'ACTION DE SATAN EN CE MONDE !
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Le sujet que nous allons traiter ne relève point de la psychologie ou de l'expérience en général; il est d'ordre proprement théologique.
Ce qui nous a amené à réfléchir sur lui a été l'insistance d'un nombre infini de malheureux qui, n'offrant aucun signe de possession diabolique, ne se comportant pas du tout comme des possédés, recourent néanmoins au ministère de l'exorciste pour être délivrés de leurs misères: maladies rebelles, malchances, malheurs de toutes sortes. Tandis que les possédés sont infiniment rares, les patients dont je parle sont légion. Il ne serait pas légitime de les traiter comme des possédés, puisque, de toute évidence, ils ne le sont pas. D'autre part, ce ne sont pas non plus, universellement et nécessairement, des malades mentaux, sur lesquels un traitement psychiatrique aurait chance de réussir. Seul, le jugement qu'ils portent sur la cause de leurs maux, en les attribuant à l'influence du démon, pourrait, à première vue, paraître contestable, mais par lui-même, isolé, il ne constitue pas plus un symptôme morbide que n'importe quelle croyance erronée; et le but du présent article est justement de chercher si et dans quelle mesure il s'agit ici d'une croyance erronée.
Quoi qu'il en soit, nous avons donc affaire simplement à des malheureux de toute espèce dont les plaintes nous font entendre la gamme entière des infortunes humaines. Pris de pitié pour eux, on se demande à quels moyens recourir pour les soulager.
Alors reviennent naturellement à la pensée certaines pages des Livres Saints, certaines oraisons ou pratiques liturgiques qui supposent l'influence du démon présente bien au delà des régions où nous avons l'habitude de la confiner. Faisons une revue sommaire de ces documents. (Ils seront sans doute plus simplement étudiés en d'autres articles de ce volume. De notre point de vue très particulier, et au risque de faire des redites, nous devions cependant les mentionner pour justifier nos propres conclusions. Au reste nous n'avons pas l'intention d'en faire l'inventaire complet: il nous suffira d'en choisir quelques uns, plus significatifs.)
I
Le Christ appelle Satan: « le Prince de ce monde » (Jo., XII, 31; XIV, 30; XVI, 11). Dans le Nouveau Testament et en particulier dans l'Évangile de saint Jean d'où nous tirons cette parole du Sauveur, le mot « monde » reçoit plusieurs acceptions. Parfois il est pris dans un sens favorable ou neutre. Il signifie alors la terre où vivent les hommes, ou, par métonymie, les hommes eux-mêmes, l'humanité. (Jo., 1, 9-10; III, 16, 17, 19; XI, 27 etc.)
Mais le plus souvent l'expression comporte un sens défavorable. Le monde, c'est le règne du mal sur la terre. Il y a opposition irréductible entre lui et le règne de Dieu, entre ce monde-là et le Christ et les siens. Jésus dit: « Je ne suis pas de ce monde... Je ne prie pas pour le monde... Le monde me hait »; et à ses disciples: « Vous n'êtes pas du monde... le monde vous hait » etc... (Jo., VIII, 23, XVII, 9; VII, 7; XV, 19 etc. Cf. Ia Jo., 11, 13, 14.); un combat perpétuel fait rage entre le monde des ténèbres, c'est-à-dire de l'erreur, du péché et de la mort, et Jésus qui est la lumière, la vérité et la vie. C'est du monde entendu de la sorte que Satan est le roi.
En un style prophétique et chargé de symboles, l'Apocalypse nous décrit les péripéties de cette lutte entre le parti de Dieu et le parti de Satan, entre l'Église de Jésus-Christ (la femme qui enfante) et les puissances de l'Enfer, entre le Bien et le Mal: lutte qui se termine par la défaite de Satan, « l'Ange de l'Abîme », qui y est précipité définitivement. (Apoc., IX, XII, etc.)
Même doctrine chez saint Paul. L'Apôtre et les fidèles ont à combattre « un monde de ténèbres régi par des esprits mauvais » (Ephes., VI, 12. Cf. Colos., 1, 13.). La période où se déroule cette lutte, le temps qui précède le retour final du Christ, et où les puissances du mal sont déchaînées, est appelé par saint Paul « le siècle », expression prise aussi très souvent en mauvaise part et qui alors a le même sens que « le monde »: car l'Apôtre met ses fidèles en garde contre les idées et les moeurs du siècles. (Rom., XII, 2: « Ne vous conformez pas à ce siècle »...). Or « de ce siècle », Satan est « le dieu » (II Cor., IV, 4.). Quiconque est étranger au royaume du Christ est sujet de Satan. Par le péché originel, commis à l'instigation de ce dernier, l'humanité, déchue de la grâce primitive, vit sous le régime du péché et se trouve par là-même dans le royaume du démon, dont le Christ seul peut la faire sortir par la vertu de sa Rédemption (Col. 1, 13, 14; 1 Petri, 1, 9, etc.). Aussi avant de baptiser un adulte ou un enfant, le prêtre adjure-t-il le démon de sortir d'eux: Exi ab eo, immunde spiritus et da locum Spiritui Sancto Paraclito.
II
Comment le Prince, le dieu de ce monde mauvais exerce-t-il sa puissance?
D'abord, et ceci est banal, dans l'ordre psychologique individuel, par les effets spirituels qu'il produit sur chacun de nous. Il est le tentateur, le séducteur, le conseiller perfide, l'inspirateur des démarches coupables. Il trompe, il aveugle, il corrompt (Jo., VIII, 44; XIII, 2; II Cor., IV, 4; Actes, V, 3; II Tess., II, 9, 10; I Cor., VII, 5; Ia Jo., III, 12.), il fait prendre le faux pour le vrai, et le mal pour le bien en « se donnant l'apparence d'un ange de lumière » (II Cor., XI, 14). Il est celui qui ôte la semence divine des coeurs où elle est tombée, qui sème l'ivraie dans le champ du Père de famille (Mt., XIII, 19, 39. Nous n'avons pas à expliquer ici, philosophiquement, la possibilité et le mode de cette action d'un esprit sur d'autres esprits. Les théologiens admettent communément qu'elle atteint directement les facultés inférieures: sens, imagination, instincts, passions, et seulement par contre-coup l'intelligence et la volonté. Cf. Saint THOMAS, Ia q. III.). L'homicide, la haine le mensonge sont « ses oeuvres »; il est « le père » des assassins et des fourbes, de ceux qui n'aiment pas leurs frères et généralement de tous les pécheurs (Jo., VIII, 40, 41, 44, 55; Ia Jo., III, 8, 10, 12.).
Son empire pourtant n'est pas despotique, mais requiert l'acquiescement des intéressés; il ne force pas, il propose, il suggère, il persuade, il enjôle. Dans l'Eden il donne à Ève des raisons pour transgresser l'ordre divin (Gen., III, 4, 5, 13.); comme au désert il sollicite le Christ par l'appât d'une domination universelle (Mt., IV, 9; Luc., IV, 5 à 7.).
Du reste, à l'intérieur de l'individu, il trouve une complice, la nature, surtout depuis qu'il l'a fait déchoir de l'état d'intégrité: il en exploite les mauvais instincts et les passions. La colère persistante, par exemple, lui donne le champ libre: « Que le soleil ne se couche point sur votre colère, dit saint Paul, et ne préparez point, [par là] une place au diable » (Eph., IV, 26, 27). La chair incontinente lui fournit l'occasion et le terrain de son activité (I Cor., VIII, 5). De même l'orgueil (II Tim., III, 6). Mais soutenu par la force de Dieu, le chrétien, peut « tenir ferme contre les astuces du diable » (Ephes., XVI, 10).
Ainsi, non seulement Satan n'est pas la cause unique du péché, qui relève en dernier ressort du libre choix de l'individu, mais encore, dans les préliminaires de cet acte, son influence n'est pas seule en jeu. Il tente, mais la concupiscence tente aussi (Jac., 1, 14.) : une poussée intérieure se conjugue avec les efforts du tentateur étranger.
Tout cela est certain. Mais, l'ayant admis, on peut se poser une question ultérieure, qui n'est peut-être pas susceptible d'une réponse aussi catégorique: l'esprit du mal participe-t-il toujours universellement au péché de l'homme? Toutes les fautes sont-elles commises à son instigation? La parabole du semeur paraît bien signifier le contraire. Car, à côté du cas où le bon grain est enlevé par le diable, elle en mentionne d'autres, où ce grain meurt parce qu'il est tombé dans une terre sans profondeur, symbole de la légèreté et de l'inconstance de l'homme, ou parce que les épines, figure des soucis matériels et des concupiscences diverses, l'étouffent (Mt., XIII, 19 sq; Mc., IV, 15 sq; Lc., VIII, 12 sq.)
Si nous interrogeons la théologie catholique, nous entendons son représentant le plus qualifié, saint Thomas parler dans le même sens: « Non omnia peccata committuntur diabolo instigante, sed quaedem ex libertate arbitrii et carnis corruptione » (Ia 114, a. 3.).
Cependant, à lire certains textes du Nouveau Testament ou des Pères de l'Église, on a l'impression d'une surintendance générale exercée par le Prince de ce Monde sur tout le mal qui s'y commet. Que l'on relise, par exemple, ceux que nous avons cités plus haut sur le démon père de tous les méchants: « Celui qui fait le mal est du diable » (Ia Jo., III 8. De même, dans la parabole des ivraies, les méchants sont les fils du diable.). D'après saint Jean (Évanglie et Épîtres), comme d'après saint Paul, l'empire de Satan que Jésus est venu renverser est celui du mal, de tout le mal moral qui ravage l'humanité (A la dernière demande du Pater, contre quoi ou contre qui implore-t-on la protection divine? Dans l'expression « a malo *** », le substantif est-il au neutre ou au masculin? Doit-on traduire: « délivrez-nous du mal » ou « du Malin »? Bien que, dans le Nouveau Testament, le mot soit parfois au neutre (Luc., VI, 45; Rom., XII, 9), ici, « les Pères grecs, les plus anciens Latins et plusieurs liturgies sont fortement en faveur du masculin ». La construction témoigne pour le même sens. La dernière demande et l'avant-dernière sont en connexion étroite et fortement antithèse: « ne nos faites pas entrer en tentation mais au contraire délivrez-nous du tentateur ». (PLUMMIER, Commentary on the Gospel according to St. Matthew, p. 103). En ce cas, le Malin serait décrit comme l'auteur de toute tentation et comme le fauteur de tout le mal que peut commettre un chrétien.). Saint Augustin appelle « cité du diable » la cité du péché qui s'oppose à la cité de Dieu, et qui est née du mépris de Dieu: « Una est Dei, altera diaboli » (De Civitate Dei, XXI, C. I.), « terrenam sciliet [fecit] amor sui usque ad contemptum Dei » (Ibid., XIV, c. 18 (Migne, Tome 41).). Et l'on sait que nos ascètes et nos mystiques se représentent volontiers le démon comme l'auteur des tentations en général et comme l'instigateur de tout péché.
Il est vrai que la plupart des textes scripturaires et patristiques en question, sinon tous, sont à la rigueur susceptibles d'un sens moins précis: à savoir, que Satan, comme le premier révolté, est l'ancêtre de tous les pécheurs et qu'ayant fait commettre le péché originel et par là introduit dans la nature humaine le désordre et la concupiscence, il est, indirectement cette fois, la cause de toutes les fautes qui en proviennent. C'est à cette interprétation que s'arrête saint Thomas (Loc. cit.). Laissons donc cette question ouverte.
III
Jusqu'ici et sauf peut-être en cette dernière considération, nous avons exposé des idées familières à tous les chrétiens et qui font partie de l'enseignement catéchétique commun. Voici maintenant quelque chose de moins connu et qui cependant découle logiquement et nécessairement de ce qui précède. Si Satan influence les décisions individuelles, il étend par là même son pouvoir sur les collectivités. En effet, qui suscite les dissensions, les guerres, les bouleversements sociaux, les oppressions et les persécutions, sinon des individus? Il est évident qu'en se faisant leur inspirateur Satan peut déchaîner des calamités familiales ou sociales; et Dostoiewsky n'avait pas tort d'intituler l'ouvrage où il décrit quelques uns de ces types: « Les Possédés », possédés non au sens strict et tels que les décrits le Rituel, mais en tous cas, envahis par des inspirations démoniaques, dominés par les pensées et les vouloirs de Satan, et ses instruments très réels.
Des faits de ce genre sont rapportés dans nos Saints Livres. Les Sabéens et les Chaldéens qui enlèvent les troupeaux et les chameaux de Job et passent ses serviteurs au fil de l'épée sont envoyés par Satan qui a obtenu de Dieu licence de ruiner le saint homme (Livre de Job. ch. 1). Dans l'Évangile, Notre-Seigneur révèle à Simon-Pierre que Satan a réclamé les Apôtres pour les secouer comme le blé qu'on vanne (Luc., XXII, 31) : allusion au triomphe des méchants qui aura lieu au moment de la Passion, terrifiera les Apôtres et causera leur défection, comme aussi sans doute aux persécutions qui les attendent personnellement dans l'avenir. Les dissensions qui déchirent les chrétientés sont, aux yeux de saint Paul, oeuvre diabolique et, après les avoir mentionnés, il exprime l'espoir que « le Dieu de Paix » intervienne promptement pour y mettre fin en « écrasant Satan sous les pieds » des fidèles (Rom., XVI, 20). Par deux fois l'Apôtre a voulu venir à Thessalonique, mais « Satan l'en a empêché » (I Thess., II, 18). C'est ainsi que nos missionnaires modernes attribuent encore couramment au diable les obstacles humains qui entravent leur apostolat. L'Apocalypse est pleine de visions qui nous mettent sous les yeux des catastrophes générales, déclenchées par Satan et les esprits infernaux dont il est le chef. C'est une « synagogue de Satan », constituée à Smyrne, qui blasphème contre les chrétiens de cette ville, et c'est Satan en personne qui les « envoie en prison » (Ch. II, 9, 10). La « Bête qui monte de l'Abîme », c'est-à-dire de l'Enfer, guerroie contre les prophètes de Dieu et les met à mort (XI, 7). « La Bête qui monte de la mer » (La même, selon ALLO, que la précédente, Commentaire sur l'Apocalypse, p. 184) symbolise une puissance terrestre dont le siège est « à l'Occident méditerranéen » (Ibid., p. 185): l'Empire romain persécuteur. Elle est l'instrument du « grand dragon, le serpent antique, celui qui est appelé le diable ou Satan, le séducteur de toute la terre », qui communique à la Bête son pouvoir (XIII, 1 et 2, cf. XII, 9). D'autres fléaux sont déchaînés par les mêmes influences sataniques: quatre mauvais anges sont déliés de leurs chaînes: aussitôt une cavalerie infernale passe sur la terre et le tiers des hommes périt (IX, 15 sq. Voir aussi: XIII, I sq; XX, 7 sq.) etc. Derrière la figure visible des individus dont la méchanceté trouble et afflige des groupes humains entiers se dessinent donc, dans les perspectives scripturaires, des figures plus mystérieuses et plus sinistres: celles de Satan et de ses Anges.
IV
Faut-il aller plus loin encore et attribuer aux mauvais esprits une action sur la nature physique? Les écrivains sacrés n'hésitent pas à le faire.
Ces esprits, dont l'Enfer est le lieu propre, n'y sont pas confinés. Loin d'être étrangers à notre monde, ils en habitent certaines parties: d'abord l'atmosphère, « le ciel » - non pas le ciel de Dieu, mais les régions supérieures de l'air. Saint Paul qualifie Satan de « Prince des puissances de l'air », de « ces forces spirituelles mauvaises qui sont dans le ciel » (Ephes., II, 2 et VI, 12). Jésus dit aussi que le démon chassé d'un homme, erre sans repos dans les lieux arides (Luc., XI, 24). Dans le livre de Job, on entend Satan témoigner qu'il « parcourt la terre et s'y promène » (Ch. I et II).
Présents dans l'univers, les démons ont le pouvoir d'en modifier les éléments. Le vent du désert qui renverse la maison des enfants de Job et les écrase sous ses ruines a été suscité par Satan. De même la foudre qui tombe sur les brebis et les bergers du patriarche. (Job, I.) Les démons ne se contentent pas d'attaquer les âmes; ils s'en prennent aussi aux corps. La lèpre qui dévore Job et le couvre de plaies est leur oeuvre (Ibid., II). L'épine qui tourmente saint Paul, et dans laquelle la plupart des exégètes reconnaissent une maladie physique, a été enfoncée dans sa chair par un « ange de Satan » (II Cor., XII, 7). Un pécheur public et scandaleux, l'incestueux de Corinthe, a été livré au démon par l'Apôtre « pour la destruction de sa chair » (I Cor., V, 5. Cf. I Tim., I, 20). L'Évangile aussi désigne ouvertement les démons comme la cause de certaines maladies physiques. Ces maladies se compliquent parfois de possessions proprement dites: pas toujours. La femme percluse, par exemple, que Jésus guérit, n'est pas une possédée: elle était au pouvoir d'un « esprit de faiblesse », « Satan l'avait liée » de sorte qu' « elle ne pouvait se redresser » (Luc., XIII, II). Chez l'enfant épileptique, le démon ne donne aucun signe de sa présence sinon les crises même du mal (Mt., XVII, 14; Mc., IX, 17; Luc., IX, 38). Le muet (Mt., IX, 32) et l'aveugle muet (Mt., XII, 22) ne sont rien d'autre, bien que leurs infirmités soient d'origine diabolique (M. J. SMIT, professeur au Séminaire archiépiscopal d'Utrecht, (De Daemoniacis in historia evangelica. Rome, Institut biblique, 1913), pense que les cas de maladie (cécité, mutité etc) où le démon est dit être dans le patient, sont des cas de possession. Je ne suis pas de son avis. Une présence diabolique dont le seul résultat mentionné est d'altérer le bon fonctionnement des organes physiques, n'est pas nécessairement la possession, dont les signes caractéristiques sont tout autres. Par contre, le même auteur accorde que la femme percluse n'était pas une possédée (cf. p. 179-180). Ce cas-là au moins semble donc indiscutable. - Il est inutile de rappeler ici que les Évangélistes distinguent les simples malades des possédés malades ou non, et le pouvoir guérisseur du Christ de son pouvoir d'exorciste. Dans les foules qui implorent sont secours, il y a les malades et les possédés. Voir, par exemple, Mc., I, 32, 34; Lc., VI, 18). En revanche, le fou furieux de Gerasa (maniaque aigu) est habité par des esprits qui parlent en leur propre nom, reconnaissent Jésus comme Fils de Dieu et comme leur Maître (Mc., V, 2; Luc., VIII, 26; cf. Mt., VIII, 28, qui parle de deux hommes dans cet état.).
A ce dernier épisode se rattache l'histoire des pourceaux dans lesquels, avec la permission de Jésus, entrent les démons chassés de l'homme, et qui, affolés, vont se précipiter dans la mer. Ce récit a choqué beaucoup de modernes. Cependant, pour qui admet la possibilité des possessions diaboliques, il n'offre aucune difficulté particulière. « Si le démon, dit le P. Lagrange, peut exercer une telle maîtrise sur une créature raisonnable, on ne peut rien objecter à son action sur les animaux » (Commentaire sur l'Évangile de Saint-Marc, p. 133. L'exégète anglican PLUMMER (op. cit., p. 228) écrit de son côté: « Il n'y a rien dans l'expérience qui nous empêche de croire que des esprits mauvais puissent agir sur les bêtes brutes; et la science confesse qu'elle n'a aucune objection a priori contre une telle hypothèse ».)
Enfin plusieurs actes liturgiques, pratiqués par l'Église, supposent la possibilité d'une présence ou d'une action diabolique jusque dans les éléments inanimés. Le sel, et surtout l'eau, avant d'être employés à l'administration du baptême, sont exorcisés: « Exorcizo te creatura salis... Exorcizo te creatura aquae »; défense est intimée au démon d'y exercer ses influences maléfiques. (Tibi igitur praecipio, omnis spiritus immunde, omne phantasma, omne mendacium, eradicare et effugare ab hac creatura aquae... (Bénédiction de l'eau baptismale en dehors du Samedi Saint et du Samedi de la Pentecôte). Procul ergo hinc, jubente te, Domine, omnis spiritus immundus abscedat: procul tota nequitia diabolicae fraudis absistat. Nihil hic loci habeat contrariae virtutis admixtio: non insidiando circumvolet, non latendo subrepat, non inficiendo corrumpat. Sit haec sancta et innocens creatura, libera ab omni impugnatoris incursu et totius nequitiae purgata discessu. (Bénédiction de l'eau baptismale le Samedi Saint). - Et l'Église tient que les éléments, eau, sel, cierges, etc., ainsi exorcisés et bénits, ont la vertu d'écarter le démon des lieux où ils se trouvent. (Ordo ad faciendam aquam benedictam. Benedictio candelarum. Rituale Romanum, Tit. VIII, c. 2 et 3.) ).
V
De quelle nature est l'empire exercé dans le monde par les esprits du mal? Ce n'est pas un empire général et absolu.
Il ne faut pas faire de Satan un rival de Dieu, quelque chose comme le Mal personnifié, le Mal « existentiel », pourrait-on dire, opposé au Bien infini et subsistant, qui est Dieu. Ce serait du manichéisme. Le mal pur et total n'existe pas; dans les esprits déchus eux-mêmes il y a du bien: leur splendide nature, sortie des mains de Dieu, et qui survit sous les hideurs du péché et de la haine.
Satan n'est pas non plus le Principe unique et universel de tout le mal commis ici-bas. (Ce serait donc se leurrer que de chercher dans les interventions diaboliques ici-bas la réponse ultime au « problème du mal ». Il y a là deux sujets absolument distincts, dont le second est beaucoup plus vaste que le premier et le domine, loin d'être dominé par lui. La chute de Satan et son rôle néfaste postérieur sont des faits, de purs faits, dont nous sommes instruits par la Révélation, mais qui n'apportent et n'ont la prétention d'apporter aucune solution au problème du mal en général. Au lieu de remplacer ce problème, de se substituer à lui, et encore moins de le résoudre, ils nous obligent à le poser: ils nous poussent impérieusement dans le domaine spéculatif. L'action des esprits mauvais et l'existence même de leur malice ne sont que des aspects particuliers du problème qui tourmente les âmes, du scandale qui - nous le savons assez - les arrête souvent sur le chemin de la foi. Comment est-il possible qu'une créature originellement bonne, sortie telle des mains de Dieu, se soit pervertie? Et plus généralement, d'où vient le mal physique et moral dans la création d'un Dieu bon? Qu'ici bas il procède ou non d'influences sataniques, il reste ce qu'il est, et le scandale qu'il cause demeure identique. Un Kierkegaard, un Karl Barth, qui regardent comme une intrusion sacrilège tout travail de l'intelligence et du raisonnement sur les données révélées, rediraient peut-être ici assez volontiers le mot prêté à Tertullien: Credo quia absurdum. La tradition catholique ne nous enseigne pas ce culte de l'irrationnel. Elle ne réprouve point la philosophie ni la métaphysique: elle s'en sert au besoin. On sait que le problème spéculatif du mal arrêta longtemps le jeune Augustin sur la voie de la conversion (Confession, III, 7, n° 12; V, 10, n° 20), et que la solution hautement métaphysique de ce problème contribua à le détacher définitivement du manichéisme. C'est donc aller un peu loin que de traiter cette solution comme une « supercherie » dialectique, dont « les esprits religieux » ne sauraient être dupes (Louis BOUYER: Le problème du mal dans le christianisme antique. Dans la revue: Dieu vivant, 1946, N° 6, p. 18). Saint Augustin n'était-il donc pas un « esprit religieux »?). Nous l'avons vu, à côté de lui, collaborant trop souvent avec lui, il y a la liberté humaine, affaiblie par nature, susceptible de céder à l'attrait du mal comme d'y résister. Aussi, dans le domaine moral, l'influence démoniaque n'est-elle pas nécessitante: en dernière analyse l'homme est toujours responsable de son péché.
Cette influence diabolique peut néanmoins être dite constante en ce sens à moins d'un privilège tout à fait exceptionnel, personne n'y échappe absolument. Qu'il y ait ou non des fautes attribuables à la seule liberté (Voir ci-dessus, p. 3 et 4), l'enseignement révélé et la liturgie ne nous permettent pas de douter qu'à un moment ou à l'autre, celui « qui rôde autour de nous » pour nous perdre (Ia Pstr., v, 8.) ne nous atteigne de ses traits. Les tentations diaboliques intérieures sont le lot commun, elles font partie du régime ordinaire de l'humanité.
Mais en dehors d'elles il n'y a pas de trace, dans les Saintes Écritures, d'une délégation générale que Satan aurait reçue pour troubler et tourmenter à son gré les mortels. « Prince de ce monde » au sens où nous l'avons dit, il n'est pas pour autant le maître des événements. Il ne saurait rien faire, dans aucun ordre, sans la permission divine. Pour l'ordre physique, les exemples scripturaires que nous avons apportés le prouvent suffisamment. Satan ne peut attaquer Job qu'après en avoir obtenu de Dieu l'autorisation spéciale. L'ange de Satan qui « soufflète » saint Paul en lui infligeant une maladie humiliante, a été envoyé par Dieu pour empêcher l'Apôtre de s'enorgueillir de ses révélations. (II Cor., XII, 7. Cf. ci-dessus, p. 499). Les interventions du démon dans le domaine matériel sont toujours particulières, occasionnelles, limitées à des circonstances spéciales. Elles sont de deux sortes, qui correspondent respectivement à ce que sont, du côté de Dieu, le miracle et la Providence. De même qu'il y a les miracles divins, opérés par la Puissance souveraine qui modifie à son gré les éléments et les lois de sa création, il y a les prestiges diaboliques (« L'apparition de l'Antechrist se produit selon l'action de Satan, parmi toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges menteurs »... II Thess., II, 9; Mt., XXIV, 24.) accomplis en utilisant simplement les lois et les éléments naturels, mais d'une façon qui dépasse les pouvoirs de l'homme ou de la nature d'une façon et tranche sur le cours ordinaire des choses. Le type actuel de ces prestiges serait, par exemple, la possession proprement dite, où le démon se sert d'une bouche et d'un souffle humain pour articuler les sons d'une langue ignorée du possédé. En second lieu, de même que la prescience divine, sans sortir du train coutumier du monde, ordonne les circonstances naturelles à ses fins d'amour et de justice, - par exemple, pour répondre à une prière ou pour châtier - de même certains événements, d'apparence et de structure intime tout ordinaires, - une maladie, une tempête, un échec, - pourraient-être amenés, pour des fins perfides, par une intervention diabolique qui s'insérerait dans la trame des choses comme le fait la liberté humaine. Mais au fond, ces deux espèces d'interventions diaboliques ne sont pas essentiellement différentes; l'esprit mauvais agit toujours de la même manière: non pas en maître absolu, mais en utilisant les choses selon leur nature qu'il ne saurait modifier, groupant par exemple certains éléments, ménageant la rencontre de circonstances apparemment fortuites. (C'est pourquoi saint Thomas enseigne qu'il n'y a pas de miracles vrais, au sens propre et plein, en dehors des miracles divins. Ia, q. 114, a. 4.)
VI
Que conclure de ce chapitre de démonologie théologique? Que ceux qui attribuent au démon des calamités d'apparence et de structure naturelles, n'ont peut-être pas tort entièrement et dans tous les cas. Sans doute, l'action diabolique n'étant pas générale, il est difficile de savoir avec certitude qu'elle a lieu hic et nunc. Mais du moment qu'elle est possible, sinon vraisemblable, dans un cas donné, on est autorisé à prendre des moyens surnaturels pour en garantir les patients. L'Église nous y invite. En dehors de l'exorcisme proprement dit, qu'elle réserve exclusivement aux possédés, elle a des prières et des rites applicables à toutes les misères humaines, et où elle n'oublie pas de mentionner parfois celui qui en peut être l'auteur sinon unique et direct (comme dans la possession), du moins partiel et dirigeant. L'eau bénite est faite expressément pour écarter des lieux et des personnes sur lesquels elle est répandue , « toute la puissance de l'ennemi et l'ennemi lui-même avec ses anges apostats. » De même le sel bénit. L'huile (non-sacramentelle) est bénite et « exorcisée » pour que les malades qui en seront oints soient délivrés « de toute langueur et infirmité, de toutes les attaques insidieuses de l'ennemi et de toute adversité ». La bénédiction des malades débute par une oraison où il est dit: « effugiat ex hoc loco omnis nequitia daemonum ». L'oraison quotidienne de Complies demande à Dieu d'écarter de la maison où les hommes vont dormir « toutes les embûches de l'ennemi ». Il n'est que de parcourir le Rituel pour y trouver quantité de prières et de cérémonies ayant le même but, appliquées à des objets ou à des lieux divers, et contenant la même formule déprécatoire contre les maléfices de Satan: bénédiction du pain, d'une fontaine, d'un puits, d'un four, etc. Enfin « l'exorcisme contre Satan et les Anges apostats » (que l'on appelle parfois « le petit exorcisme » - exorcisme improprement dit, car il ne s'applique pas aux possédés), prescrit par Léon XIII, vise à protéger l'Église et les fidèles de toutes les attaques, troubles et persécutions ouvertes ou sournoises qui les menacent, et dont Satan est explicitement déclaré l'inspirateur.
Si donc beaucoup de superstition, de légendes puériles, d' « on-dit » non vérifiés et non vérifiables pullulent dans les croyances populaires sur le démon, celles-ci contiennent néanmoins une âme de vérité; elles ont un fondement lointain dans la Bible et l'Évangile: tradition déformée, chargée de surcroissances parasites, mais non pas fausse de tous points et à rejeter en bloc. Dans cet étrange magma on peut discerner quelques restes des doctrines chrétiennes.
Mais que cette concession mesurée et partielle ne nous conduise pas à un autre extrême. Aucun esprit sensé, nous l'espérons, ne pensera que le point de vue exposé ici doive éclipser tous les autres, devenir unique, total, exclusif. Il serait fou de s'en tenir aux prières et aux rites religieux pour obvier à tous les maux et, par exemple, de soigner les maladies par des remèdes exclusivement surnaturels. Nous avons rencontré ailleurs et stigmatisé comme il se devait, l'opinion de certains illuminés qui ne veulent voir, dans les pensionnaires des asiles, que de purs possédés, justiciables du seul exorcisme (Les maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques, p. 203-204). Même si des influences diaboliques interviennent dans un événement, ce n'est pas une raison pour que les autres causes - normales, humaines, naturelles - cessent d'y agir. Aussi bien, nous avons vu que les esprits mauvais emploient ces dernières comme des instruments; si donc on arrive à briser l'instrument ou à en énerver l'efficacité par des moyens du même ordre que lui, on aura remporté une victoire sur l'agent qui l'employait.
Paris
Joseph DE TONQUÉDEC, S. J.
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"N'éteignez pas l'Esprit, ne dépréciez pas les dons de prophétie; mais vérifiez tout : ce qui est bon, retenez-le; gardez-vous de toute espèce de mal." 1 Thess 5, 19-22
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